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Le deuil

Le processus psychique du deuil

En psychanalyse, nous parlons du travail de deuil pour évoquer la capacité du psychisme à se transformer autour d’une perte. C’est un processus à l’origine de la construction psychique , qui se poursuivra toute la vie. Le travail du deuil est à la fois un processus interne, intime, mais aussi extérieur, familial, collectif, universel, ritualisé, présent dans toutes les cultures. La perte est inhérente à toute évolution du vivant. On ne peut que le constater. Cette perte n’est pas subie, elle est désirée par le vivant; Le désir d’aller vers, d’investir de nouveaux objets, est un élan naturel, poussé par la pulsion de vie. Ce désir conduit à quitter, s’éloigner, c’est une acceptation de la perte pour vivre la suite.

Quand le deuil est ralenti, voire figé

Cette puissance psychique de transformation obéit à une dynamique mais peut aussi subir des ralentissements, voire un arrêt total. C’est alors que nous parlons d’un deuil qui ne se fait pas, ou ne s’est pas fait. En cas de Trauma (est appelé Trauma l’ensemble des effets psychiques dûs aux évènements dramatiques que vit un sujet, quelle que soit la nature de ces évènements), le travail du deuil est bloqué, au moins un certain temps. En effet, le Moi se clive pour se protéger d’une trop grande souffrance, d’une décompensation. D’un côté il continue à vivre comme avant, pendant qu’une partie de lui se fige, du côté inconscient. Il enferme ses souvenirs dans une ‘crypte’ inaccessible. Le Moi continue sa vie en faisant tout, de façon involontaire et non consciente, pour éviter les zones, les rencontres, les pensées offrant la moindre possibilité de réveiller la peine emmurée. Ce qui l’oblige à rétrécir grandement son champ d’action. Il s’amenuise ainsi, devenant au pire l’ombre de lui-même.

C’est ainsi que nous observons certaines personnes hantées par leur mort, mais en même temps, ne parvenant pas à accéder au chagrin de la perte. Ne pouvant approcher cette souffrance, l’accès à la réalité de la disparition est impossible. La perspective du futur est alors empêchée.

Les deuils pour chaque étape de vie

Le processus psychique de deuil accompagne chaque étape de vie. Toute période dans l’évolution personnelle d’un sujet fait l’objet d’un deuil ouvrant l’accès à la période suivante. Il y a un élan, un désir d’agrandissement du champ d’action qui favorise l’acceptation de la perte des avantages liés à la période précédente. Les deux sont concomitants. Ainsi en est il du petit enfant qui parvient à s’émanciper progressivement de la protection maternante qui lui était nécessaire et bénéfique pour s’éloigner, investir d’autres objets sans se sentir perdu. Son désir d’autonomie, élan naturel, le porte vers l’acceptation de la perte du cocon antérieur, de façon intermittente dans un premier temps; puis bien sûr plus pérenne. Par exemple, les hésitations lors des prémices de la marche montrent que coexistent la peur de la séparation, de l’absence de main qui tient, et la jubilation du mouvement autonome, entrainant cris de joie, et … parfois la chute ! Et la répétition jusqu’à trouver l’équilibre entre les deux forces psychiques: désir de mouvement, peur de quitter.

Nous portons ainsi de nombreux départs en nous. Ces processus psychiques sont engrangés, mémorisés et seront en résonance avec les vécus suivants. Si les premières séparations se sont effectuées avec un accompagnement évitant un trop-plein d’angoisse et de détresse, les autres séparations seront sans doute vécues sans effondrement narcissique du Moi.

Mais il n’en va pas toujours ainsi. Parfois les résonances avec des pertes anciennes sont telles qu’elles empêchent d’accéder à ce travail psychique de transformation. Parfois aussi, des pertes à l’âge adulte sont de véritables traumatismes difficilement surmontables.

Les ruptures de vie

Des ruptures dans la trajectoire d’un sujet tels qu’un licenciement, une exclusion, une rupture amoureuse peuvent être si difficiles à accepter qu’elles empêchent durablement le passage vers autre chose. Le processus de deuil est ralenti. Il faut alors une pause, un retour sur soi réparateur.

La fixation à une période ou à un être dont on ne peut se résoudre à accepter la perte est souvent amplifiée par les non-dits. Le travail de deuil pourra avoir lieu lorsque les paroles impossibles seront enfin prononcées, même en l’absence du destinataire. Par exemple, dire ce qu’on n’a jamais pu dire à ce parent avec lequel persistait un conflit irrésolu, parti en laissant cet inaccomplissement relationnel. Même si c’est par l’évocation mentale, (devant sa tombe, ou en thérapie!) la réparation symbolique est toujours possible.

Faire le deuil d’une relation compliquée et conflictuelle est long, difficile. Les manques sont encore manquants. L’attente du comblement des manques tenait la relation. Et ce qui n’a pas été comblé, mais était en espoir de l’être, espoir toujours déçu, se trouve maintenant face au vide. Il faut faire le deuil de cet espoir. De plus, l’ambivalence qui dominait la relation fait ressurgir les sentiments puissants d’amour haine éprouvés enfant pour les parents et leur conséquence: le sentiment de culpabilité. Tout deuil commence par un sentiment de culpabilité. ‘Et si je n’étais pas une personne suffisamment bonne et que j’aie provoqué la rupture’? Une auto-dépréciation peut surgir aussi. ‘Je n’ai pas droit à ce que tous les autres possèdent’ ‘ je ne suis pas à la hauteur’. ‘ je n’ai pas fait ce qu’il fallait’.

Accepter le manque

Un deuil est toujours la traversée d’un manque. On ne peut reconstruire du relationnel qu’en lâchant ce passé auquel on tient encore, en s’autorisant à vivre sans.

Le deuil de symptômes est à cet égard très significatif. Un symptôme, bien qu’insatisfaisant à la longue, et parfois destructeur par sa répétition et son aspect coercitif, emplit d’un plaisir réflexe, immédiat. Vivre sans le symptôme consiste à renoncer à cette satisfaction, donc à en accepter le vide. Par exemple, on peut rester dépendant d’une addiction et de son rôle de remplissage, même quand on a découvert la cause de l’angoisse qu’elle servait à masquer et même si cette angoisse diminue. Le psychisme a construit un circuit quasi inconscient qui continue à fonctionner de façon presque autonome. Amener à la conscience les ressorts (peurs, désirs) de la pulsion qui pousse à l’addiction au moment où elle se présente contribue grandement à une meilleure gestion de celle-ci. L’intégration des éléments de la pulsion dans le conscient conduit à pouvoir modifier la dynamique psychique, en diminuant le besoin de ‘pansement’ ou ‘remède’, privant ainsi le symptôme de la force de sa fonction première. Il devient moins nécessaire, jusqu’à ne plus l’être du tout.

Les deuils nous construisent psychiquement

L’acceptation de la séparation petit à petit devient effective chez le jeune enfant avec la possibilité de créer des représentations psychiques de ses parents, qui remplacent la réalité de leur présence. L’ambivalence des sentiments sera intégrée si l’enfant est rassuré sur le fait que ses mouvements affectifs, qu’il éprouve comme violents en lui, n’entament pas la continuité de la relation, ne provoquent pas de violence en retour, ni de rejet. Grâce à cette intégration, l’enfant apprend à se séparer, peut investir d’autres objets d’amour que les parents. Il construit psychiquement sa capacité à faire le deuil, à évoluer dans sa vie, à investir d’autres objets d’amour.

Le deuil originaire

Paul-Claude Racamier est à l’origine de la notion de deuil originaire, sur lequel s’appuient tous les autres deuils, et dont le dépassement ou l’échec de dépassement conditionne le rapport à l’autre tout au long de l’existence.

‘Par deuil originaire, je désigne le processus psychique fondamental par lequel le moi, dès la prime enfance, avant même son émergence et jusqu’à la mort, renonce à la possession totale de l’objet, fait son deuil d’un unisson narcissique absolu, et d’une constante de l’être indéfinie, et par ce deuil même, qui fonde ses propres origines, opère la découverte de l’objet comme de soi et l’invention de l’intériorité’ (1).

Le parent n’est plus investi de façon fusionnelle et entière, il se transforme dans la psyché de l’enfant en un premier objet extérieur, que l’on aime, que l’on déteste, que l’on recherche, que l’on repousse, tour à tour, et sans que la relation soit coupée. Ainsi l’enfant accède à l’extériorité de l’objet et dans le même temps à la construction de sa propre intériorité.

La traversée du deuil originaire permet de se sentir suffisamment en confiance , (qui n’est pas une confiance aveugle) pour investir le monde, la vie, les autres. C’est ce qui est nommé confiance de base. Elle ouvre aux investissements affectifs des objets autres que le premier narcissique. Elle permet l’existence psychique de l’autre, en tant qu’autre. Elle permet la créativité. Elle ouvre à la possibilité de traverser les autres deuils à venir sans effondrement, sans négation. Elle permet de vivre le manque, même si douloureux, ou très douloureux, de le surmonter, de finir par l’accepter, sans s’engouffrer dans un vide irrémédiable. Le processus psychique de dépassement de la perte se produit.

La censure du deuil

Mais si ce deuil originaire n’est pas réalisé, un dysfonctionnement se met en place. Le deuil de la toute-puissance infantile n’a pas lieu. Le deuil de la pleine appartenance non plus. Le comblement narcissique pour retrouver cette fusion est toujours recherché. Les objets extérieurs ne sont pas investis en tant qu’autres, mais sont pris puis jetés, servant uniquement ce besoin d’être comblé narcissiquement. Si l’étape du deuil originaire n’est pas franchie, le monde extérieur et le monde interne ne sont pas séparés. Tout ce qui est à l’extérieur doit servir l’intérieur. Le deuil (la séparation) est inacceptable, nié, rejeté totalement. On reconnait là les pathologies perverses narcissiques, telles que décrites par P.C. Racamier.

La sortie de deuil

Sortir d’un deuil, c’est en fait accepter de vivre le deuil. Ne pas persister à entretenir le souvenir d’une figure du passé, transformé imaginaire auquel on s’accroche, qu’on maintient coûte que coûte à l’état de mort-vivant psychique, par peur de faire disparaitre à nouveau et définitivement ce que l’on voudrait, pense-t-on, voir revenir.

Sortir du deuil, c’est faire disparaitre le fantôme qui hantait le psychisme: objet interne, déconnecté du réel, vidé de substance, mais présent partout, en filigrane. Que ce soit celui d’un être disparu, d’une relation terminée, d’un passé surinvesti, la présence de fantôme happe une bonne partie de la libido (énergie psychique).

Au cours d’un deuil, le fantôme disparait, l’objet revient. Il est possible d’investir à nouveau l’extérieur, au point de vue affectif, sensoriel, mental. Un nouvel état se met en place, les courants psychiques sous-jacents ont fait leur oeuvre, le travail de deuil a opéré un changement profond. C’est la redécouverte du monde, à l’aune des nouvelles perceptions issues de cette transformation.

En conclusion
La capacité d’aimer objectalement, la capacité de jouir du plaisir, et la capacité de supporter le sentiment de deuil constituent toutes ensemble les conditions de toute santé psychique. (2)

(1) (2) Paul-Claude Racamier, Le deuil originaire, Payot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La réalité psychique

Nous pouvons tenter de définir la réalité psychique, à partir des trois modes que sont le réel, l’imaginaire et le symbolique, reprenant ainsi l’approche de Lacan.

Quand il y a une souplesse d’échanges articulés entre ces trois registres, on peut parler de fonctionnement psychique satisfaisant. Si l’équilibre est perdu, un mal-être ira grandissant. Le travail analytique consiste à activer les interactions psychiques pour que les trois niveaux collaborent et s’harmonisent mutuellement.

Le réel se définit dans ses rapports aux deux registres : celui du symbolique et celui de l’imaginaire, avec lesquels  il forme structure , par lesquels il peut être approché, pensé, élaboré ensuite.

S’il n’est pas structuré au sein du symbolique et de l’imaginaire, le réel ne peut pas s’appréhender. Il est alors informe, impensé. Il est ‘l’objet d’angoisse par excellence.’ Ce n’est même pas l’inconnu, c’est le ‘non-reconnu’. Tant qu’il n’est pas relié, mis en mots, donc intégré, tant qu’il reste inommé, il est l’impossible, générateur d’une souffrance absolue, et indicible. Il est un point aveugle du psychisme, il  relève de la crypte de l’inconscient.  Il est l’impossible à dire, car l’impensé. L’angoisse absolue.

Le réel est, par exemple, ce que l’enfant vit et ne peut se représenter, saisi par l’effroi, sidéré par l’inconnu faisant effraction. En d’autres termes, on l’appelle trauma. Un trauma vécu sans mots, sans élaboration psychique, sans possibilité de représentation.

Pour être intégré, le réel s’appuie sur le symbolique, constitué des mots, des différentes représentations, de la comparaison, des histoires d’autrui. Le réel est alors tenu, maintenu, porté par le symbolique, devient supportable de ce fait. Avec le symbolique, le réel peut s’intégrer, s’incarner psychiquement. Le symbolique travaille le réel jusqu’à le transformer en quelque chose de possible.

S’il ne peut pas être intégré, s’instaure un clivage de la personnalité. Il peut alors faire irruption de façon fracassante, peut devenir délire, hallucination. Il s’impose d’autant plus qu’il n’est pas pensé. Il surgit là où on ne le voit pas, précisément. Il enferme le sujet dans la répétition. Il est ‘la mauvaise rencontre’. Le sujet vient toujours buter sur lui, tant qu’il ne l’a pas ‘travaillé’. N’étant pas symbolisé, le réel s’impose sous forme d’acting, de passages à l’acte, d’agir pulsionnel, de compulsion de reproduction des mêmes scénarii, de somatisation.  Le corps agit là où le psychisme n’a pu mettre des mots.

Le travail psychique contribue à intégrer le réel dans l’inconscient, sans quoi il est encrypté, fossilisé, Il devient alors un point aveugle, qui rend aveugle à ce que l’on vit ‘réellement’, organisant les répétitions de fonctionnement.

Le premier réel qui nous est donné de vivre est le traumatisme de la naissance, passage de l’état de fœtus entouré de l’enveloppe utérine, à l’état de nouveau-né, dans la dureté de l’air, des sons, et des lumières, de ce soudain réel non tamisé, non filtré. Privé à tout jamais de la matrice ultra protectrice, le bébé est assailli d’angoisses, et de frustration, qui l’envahissent sur un mode hallucinatoire. Petit à petit, ces angoisses s’atténuent, grâce à l’entourage qui ne s’affole pas, reste calme, accueillant, trouve cela ‘normal’. Les mots et les gestes de l’entourage constituent un premier rempart contre la psychose hallucinatoire qui l’envahit. Puis, l’accès au symbolique par les premiers mots, les premières représentations qui remplacent le ‘pas-présent’, permettra d’intégrer le réel, d’accepter la perte fondatrice, et les autres, les absences, les insuffisances, laissant apparaitre le désir : celui d’explorer le monde alentour, de parler, de marcher, de grandir dans ce monde.

Il en est ainsi de tous les processus d’intégration psychique du réel, au cours de la vie. L’acceptation se réalise par la symbolisation que sont la mise en mots de l’émotionnel, la verbalisation du vécu et par l’imaginaire qui permet de s’extraire pour envisager autre chose.   Ainsi, le sujet remplace toute perte par la nostalgie. Et peut s’acheminer vers d’autres investissements.

La discontinuité créée par l’expérience du manque contribue à créer un décalage, une inadéquation. Tant qu’il ne peut saisir le monde par les mots, le sujet est soumis à son manque-à-être. La continuité de la vie psychique est assurée par l’intermédiaire de la symbolisation, qui intervient précisément pour combler ce manque. Elle intègre le signifié par l’intermédiaire de sa représentation qu’est le signifiant.

Selon cette conception, le langage a la primauté sur l’être, le langage construit le sujet.

Le réel c’est l’impossible dit Lacan et il est même impossible à définir. Est-ce la part de l’inconscient à laquelle  le sujet n’a jamais accès ? il n’est repérable, ce réel, que s’il est combiné comme on l’a vu, au symbolique et à l’imaginaire.

Le registre de l’imaginaire est le siège des ‘images,’ des identifications, des leurres, des rêves produits par l’imagination. C’est une première étape pour sortir du réel, pour accepter de le vivre. C’est de la projection faite sur autrui, sur le monde extérieur. Nous voyons l’extérieur au travers du prisme de notre vision imaginaire du monde. Autrement dit, c’est le registre du moi, dans ce qu’il a élaboré, construit, au travers de ses fictions, de ses croyances, de ses attentes, de ses espérances, de ses modèles effecteurs. Avec sa dose de refoulé, de méconnaissance. C’est aussi le domaine de l’amour, des sentiments, de l’ambivalence de ceux-ci. C’est également le domaine des jalousies, des comparaisons, de l’agressivité, constitutifs des efforts réalisés pour tenir sa place dans la relation à l’autre. C’est l’imitation, le faire semblant, la capacité de se représenter une partie de la réalité. C’est bien sur ce qui permet de compenser les pertes, de réparer les frustrations, de vivre les deuils, de fuir les conflits intérieurs en se projetant imaginairement dans un monde irréel, bienfaisant, nourricier. Il permet de donner sens à nos investissements par les représentations et  les symbolisations. ‘L’imaginaire permet de pouvoir différer le plaisir, en le rêvant ‘ (1) Il est le registre du plaisir espéré, permettant de s’investir dans les activités, les relations, les apprentissages, de faire des choix de vie. C’est le désir qui se mobilise pour accepter de faire les efforts et vivre les difficultés liés à toutes nos entreprises.

L’imaginaire se construit en premier lieu au stade du miroir, stade du narcissisme primaire. Auparavant, l’enfant ne se différencie pas du monde extérieur, il fait un avec tout. Puis, au stade où il se reconnait dans le miroir, il voit non pas lui, entièrement, tel que lui, mais lui, au travers de l’image de son corps, comme s’il était un autre. Il regarde alors l’adulte présent, dans un moment de jubilation, car c’est au travers de l’encouragement et du regard de l’autre, qu’il prend conscience que cette image est lui. Ainsi est préfiguré ce besoin chez tout être humain de se repérer dans les yeux de l’autre, pour s’évaluer. Et la difficulté à se connaitre, cette connaissance ne pouvant qu’être partielle, illusoire, au travers de l’image que l’on perçoit de soi, et donne  à voir à soi-même et aux autres.

Le registre de l’imaginaire est donc tout ce que produit le sujet pour aménager sa réalité à vivre et le réel. Il est aussi constitué des histoires que l’on se raconte, de toutes les déformations dues à notre point de vue partial, de tout ce qu’on a voulu voir et amplifier et aussi de tout ce qu’on n’a pas voulu voir, ni savoir.

L’imaginaire vit sous la contrainte du monde extérieur. Préoccupé de l’image à donner et de la place à occuper, l’imaginaire contraint, limite l’accès au réel, voire le censure totalement.

Grâce au symbolique le réel est désenglué de l’imaginaire. Le symbolique permet l’approche du réel, et sa distinction d’avec l’imaginaire.

Le symbolique est la représentation mentale qui remplace ce qui est absent. Autrement dit, la symbolisation permet la mise à distance d’avec le manque, de remettre à plus tard l’obtention de la satisfaction, et de vivre l’échange avec les autres. La fonction symbolique est le tiers séparateur qui permet de se différencier de l’assimilation avec tout, et donc d’exister en tant que sujet autonome, en relation avec d’autres sujets autonomes. Ce sont les grandes lois qui régissent une civilisation, tel que l’interdit de l’inceste, l’interdit de tuer, l’ordre générationnel, les codes sociaux, communautaires et leur intégration, sublimation, transmission. Le symbolique permet de ‘civiliser’ l’inconscient, de diminuer le pulsionnel en le canalisant.

Le langage, le jeu, l’imitation et la représentation mentale sont les principaux fondateurs de l’accès au symbolique chez le sujet en devenir.

‘Au principe même du désir humain, le réel existe et se noue au symbolique grâce à l’imaginaire.’ (2)

On voit à quel point les trois registres en interaction forment un équilibre créateur. Et à quel point, si l’un domine, un déséquilibre dangereux s’ensuit.

Si  l’imaginaire est trop puissant, non endigué par la symbolisation (la structure parentale pour un enfant, qui constitue la loi symbolique fondamentale par exemple) alors il y aura inhibition de la fonction imaginaire, par crainte du débordement, de la ‘folie’ imaginative.

Si le réel s’introduit sans médiation par l’imaginaire et le symbolique, il est pure angoisse.

Si le symbolique fait défaut, tout l’édifice est à l’arrêt.

Le travail psychique d’une cure, grâce au maniement du symbolique et à l’exploration des mécanismes du moi, contribue d’un part à une intégration du réel, et permet d’éviter son intrusion et l’effroi d’angoisse qui l’accompagne. Et d’autre part à un détachement de l’identification à son ‘moi’ imaginaire.

Ainsi créant la possibilité d’interactions entre les trois ordres, et l’activation des possibilités créatrices du sujet, qui se libère de ses représentations inhibitrices (‘moi’ fort), et de son réel non symbolisé (inconscient aux commandes).

(1) et (2°) article de Jeannine Duval Héraudet: Une articulation entre le réel, l’imaginaire et le symbolique, le nœud borroméen.

 

 

 

 

 

L’ absence à soi

L’absence à soi est une difficulté à vivre assez fréquente aujourd’hui, mais invisible, et souvent indécelable de l’extérieur. En effet, on peut être absent à sa propre vie, tout en accomplissant les tâches, les activités qui nous incombent de façon parfaite, irréprochable même. Il est possible de vivre en portant un masque en permanence, en jouant un rôle constamment, parfois sans en être conscient. Ce masque peut ensuite, de façon insidieuse, remplacer, envahir toute la personnalité, se fondre en elle, pour ne faire qu’un avec elle. L’individu n’a plus conscience de jouer un rôle, perdu lui-même dans son jeu. Il s’échappe alors de lui, se désincarne, se désolidarise de sa propre existence. « Je est un autre ». Mais qui est « Je » dans ce cas ? où se cache-t-il ? Pourquoi se cache-t-il ?

L’absence à soi est une façon de disparaître du monde. On est ailleurs, on n’est pas présent ici et maintenant à ce qu’on fait, à ce qu’on dit. On s’est absenté, on est excusé, on reviendra plus tard. ou pas…L’absence à soi est un moyen de se soustraire à ce qui est trop lourd, trop compliqué, ou impossible à tenir. C’est un fonctionnement de défense, permettant de ne pas s’exposer, de ne pas se donner à voir, lorsque être vu est trop dangereux. Pour certains, être vu, c’est comme mourir..

L’individu absent à lui-même agit dans son quotidien sans prendre conscience de l’impact, de l’importance de son agir, pour lui ou pour les autres. Il réside au sein d’une conscience amoindrie. Parfois un espace, un fossé, une barrière ou un mur semble construit, érigé entre lui et le monde extérieur. Le psychisme se met en retrait,  dans un état un peu limite, un peu ‘borderline’. En demi-teinte, jamais sûr de rien, vivant dans une sorte de brouillard, le sujet ne se définit pas de façon constante et affirmée. Il navigue dans un sentiment de vide, se meut dans un désordre psychique, un flou émotionnel. Il ne sait pas qui il est, il ne se projette pas dans l’avenir, trop incertain, trop peu ancré dans le réel.

Il n’est pas tout à fait dans sa vie. Il demeure dans un état d’indétermination, comme s’il ne pouvait pas encore vivre, choisir, créer son monde. Il vit  une sorte d’errance, de rêve éveillé…

Le sentiment d’irréalité qui accompagne cette  démission à soi-même est particulièrement angoissant, quand il vient à la conscience. Ne pas se sentir exister, ne pas se reconnaître, vivre en automate, sont des expériences de dépersonnalisation anxiogènes au possible.

Le sentiment vital peut être atteint. Au pire, l’inconsistance dans laquelle se meut l’individu absenté de lui-même lui rend sa propre vie insignifiante. Ses décisions, son parcours l’indiffèrent. Il laisse les circonstances extérieures, ou quelqu’un le gouverner, prendre sa vie en main.  Cette désertion de soi entrainent une passivité et un sentiment d’impuissance.

L’absence à soi concerne sans doute beaucoup de sujets dans un monde  où chacun a tout à construire, où l’individu est tenu à être entièrement maitre de sa vie. Dans un monde où l’individualité et l’initiative dominent, chaque personne se doit de créer, inventer, construire sa vie aussi bien professionnelle que personnelle. De lourdes charges pèsent sur chacun, avec la tentation légitime de fuir pour échapper à ces pressions énormes. Qui n’a pas eu besoin de s’extraire, de se’ défiler’ face à cet enjeu angoissant qu’est devenu le fait de vivre sa vie de façon autonome, indépendante, dans la perfection et la performance ? qui n’a pas eu envie de ne plus exister pour personne, d’être « oublié » un temps? Dans notre rapport au monde le sens est à chercher, au sein du vide qui l’emporte souvent, l’immédiateté prenant le pas sur la continuité, et l’urgence tenant lieu de moteur.

Un choc, un traumatisme, une déception, une éducation intrusive, ou empreinte de silence, de non-dits, de secrets, sont des causes de cette dépersonnalisation. Les évènements personnels, intimes se conjuguent avec les circonstances extérieures pour amplifier cette tendance au retrait et à la dissociation.

Comment reprendre pied dans la vie avec un mal si difficile à déceler ? Un sujet prendra conscience de son détachement du monde au moment où il se sentira reprendre contact justement, avec celui-ci, et avec sa réalité. Le sentiment de satisfaction profonde qu’il éprouvera alors à se sentir exister ne lui échappera pas.

Nous disparaissons tous un peu dans la course effrénée que nous menons, où tout s’échappe, se dissout très vite. Quand nous posons-nous pour penser ? à soi, à autrui, au monde, à la vie, au sens des choses, au destin, à ce qui nous habite, à ce qui nous construit. Il est plus que temps de s’en préoccuper au risque de voir grandir en nombre et en intensité cette désertion du contact avec la réalité intérieure et extérieure, fort dangereuse aussi bien individuellement que collectivement.

 

Prendre soin de son « moi »

Si l’on a souffert d’un sentiment de ne pas être reconnu, ou d’incompréhension. Si on s’est senti rejeté, injustement traité. Si l’on a subi des traumatismes, des manques affectifs, si l’on n’a pas vécu une enfance épanouissante, ou si l’on a vécu une cassure venant briser le centre de soi…si l’on a entendu des cris, si l’on a été négligé, si l’on ne sait pas pourquoi on était là..

Toutes ces expériences créent des blessures immenses, dont la souffrance est enfouie. Cependant, le refoulé ne disparaît pas, il est toujours agissant. Le psychisme n’oublie rien. L’individu alors s’enferme dans une carapace, créant des comportements de défense, vis-à-vis de ces blessures. Il construit des attitudes de rigidifications, visant à éviter à tout prix de se confronter à toute situation risquant de réveiller la peine issue de l’élan brisé. Pour ne pas souffrir à nouveau. Ainsi, il va vivre à côté de lui, n’étant pas lui-même, pas totalement lui-même.

« Ces diverses expériences de non reconnaissance amènent un être à conclure qu’il ne peut pas vivre en étant lui-même. Le sens profond de la maladie est là, presque toujours. (Guy Corneau, Revivre !)

Un trouble va naitre. En effet, cette partie de soi oubliée, négligée, dont on n’a pas pris soin, va s’étioler, se désagréger.

Le prix à payer, est la maladie, d’être ou de corps.

La maladie montre une désunion d’avec soi, un déséquilibre. L’harmonie qui préside est rompue.

L’être est globalité avant tout.

C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre soin de soi.

Quelle que soit l’entrée : corps, énergie, psychisme, la technique sollicitée, le professionnel consulté, tout travail sur soi permet de prendre un peu de recul et de se rendre compte que l’on peut améliorer sa vie, la rendre meilleure.

Il s’agit aussi de savoir manœuvrer les forces en soi qui sombrent, qui ne veulent pas évoluer, voire qui œuvrent en sourdine pour la destruction !

Ne pas les laisser dans l’ombre, ni aux commandes.

Il s’agit donc de réveiller les forces de régulation, de réparation, qui se sont endormies, inhibées suite aux traumas vécus.

En effet, toute guérison, toute amélioration d’être, est due à l’activation de l’auto-guérison, à la stimulation de la capacité autonome de rééquilibrage propre aux  fonctionnements psychiques et physiques.

La reconnaissance, en soi, pour soi, des souffrances niées et enfouies est la condition première pour commencer à être vraiment soi.

Toute souffrance intense et durable engendre une dissociation psychique. Une partie du psychisme fait comme si l’autre partie, la souffrante, la malade, n’existait pas. Celle-ci s’enferme dans le non-dit. Une barrière invisible l’entoure et l’empêche d’être au jour. Avec elle, c’est une part de soi qui s’isole et s’anéantit.

Le dialogue avec l’inconscient est nécessaire pour faire réunir ces morceaux disparates de la psyché.

La psychanalyse permet la fluidité entre conscient et inconscient. Elle place la reconnaissance du sujet au centre de son dispositif.

La faculté de réparation provient du sujet lui-même, de sa renaissance à lui-même, dans une place enfin occupée.

C’est une thérapie par la mise en valeur du moi.

Un moi qui s’est ouvert et a quitté ses compulsions de défense, qui l’enfermaient dans une attitude figée. Un moi qui n’est plus replié sur ses peurs.

La fluidité apporte le mouvement, la possibilité de l’action. Elle permet à la force vitale, au désir de vie de se propulser à l’extérieur. Sans cette fluidité, des cuirasses psychiques, et physiques se mettent en place.

Un moi qui occupe le centre de l’être, et peut regarder autour de lui avec bienveillance,  inter-agir en combinant indépendance et accomplissement, se relier en gardant sa liberté d’être.

« La santé est globale, elle inclut le corps, l’âme et l’esprit. » (Guy Corneau, Revivre.)

Il s’agit de découvrir le sens de ce qui nous arrive. Un sens est découvert quand il parle à notre conviction profonde, intime. Cela arrive comme un éclairage subit, suivi d’un soulagement émotionnel. La conscience s’enrichit. A chaque situation, à chaque évènement ne correspond pas un mais plusieurs sens. Ils sont à cueillir au fur et à mesure de l’avancement, et viennent se mutualiser, renforcer l’élaboration globale.

Le chemin vers les prises de conscience, en ramenant du mouvement intra et interpsychique, conduit à la sortie de l’impasse où nos peurs nous ont enfermés. Une nouvelle circulation s’instaure, ce qui était fixé se dénoue, la vision des choses en est modifiée.

Suite à ce travail de conscientisation, l’harmonie entre ressenti et action est rendue possible. L’action juste, issue de la synthèse entre le ressenti et la réalité extérieure, ancre le sujet dans sa vie. Elle lui permet l’incarnation de ce qu’il est vraiment.

L’écoute

L’analysant vient au cabinet de l’analyste pour y trouver une qualité d’écoute particulière.

L’écoute psychanalytique est le fruit d’une disponibilité, d’une attention, d’une présence à l’autre.

En tant que telle, cette écoute-là a un effet thérapeutique.

Elle accueille la parole de l’analysant dans ses dimensions de souffrance et de doute et aussi dans sa dimension de l’indicible, de l’impensé.

L’analysant énonce dans le cabinet de l’analyste, ce qui ne peut s’énoncer ailleurs.  Sa parole s’élève, grandissante, pour construire l’unicité de son histoire.

Il s’interroge sur la source de ses symptômes qui l’inhibent et dont il ne se défait pas. Il vient au travers de cette écoute chercher à résoudre cette énigme : Pourquoi souffrir tant? Comment souffrir moins ?

La dynamique de la relation analytique implique de se situer dans une profondeur, par-delà tout discours préfabriqué. L’analysant sent intuitivement qu’il peut être écouté au-delà de ce qu’il énonce. Il se pose en tant que sujet de son discours. Il peut laisser de côté le semblant, le faux, le paraître. Pour laisser son être s’exprimer, dans ce qu’il a de beau, et dans ce qu’il a de honteux, parfois.

La parole s’ouvre à une interprétation, une logique autre.

L’écoute dans l’espace de confiance avec l’analyste permet à l’analysant de se libérer des conditionnements de pensée pour laisser place à une autre vérité. Il accepte petit à petit de laisser venir ce qu’il avait occulté, mis dans l’ombre, ou carrément oublié.

Cette écoute-là suppose un entre-deux, une distance. Cette ferme et juste distance structure la parole de l’inconscient. Il peut se dire car il est protégé dans cette dimension analytique, faite de confiance et de réserve.

Le temps de l’écoute est un espace-temps, réservé à l’expression de ses vécus, où l’histoire personnelle du sujet se décline, se déploie. Dans l’espace mémoriel situé entre les deux, l’analysant et l’analyste, l’analysant vient dénouer, au fil des séances, les fortes identifications qui l’empêchent d’évoluer vers ce qu’il a envie d’être.

La parole et l’écoute arrivent en contrepoint des silences : silence des traumas, non-dits de l’enfance, secret de la souffrance. Briser le silence progressivement, comme un besoin d’exister autrement, de reprendre part à ce qu’on advient.

L’écoute est un art.

 

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