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La transformation

Un courant discret

Tout changement advient après qu’un courant discret et invisible l’a porté souterrainement. Des éléments reliés, mêlés y contribuent, qui ne sont pas dissociables. Le processus de transformation s’élabore en un tout, dont il n’est pas possible de discerner les détails au moment où il se passe. Ce n’est qu’après coup, quand la transformation se donne à voir en un signe tangible, extérieur, que peut se dire l’intuition vague qu’il se passait quelque chose, en catimini, en arrière-plan. Le processus évolutif apparait presque soudainement, non décelable auparavant, et pourtant évident, lorsqu’il est sous les yeux. (Ainsi en est-il par exemple de la traversée des âges. On ne se voit pas changer à chaque instant, jour après jour et pour chaque aspect de notre personne. Cependant le vieillissement se réalise malgré nous, au-delà de nous. Nous nous le figurons mieux en considérant les photos, où la transformation saute aux yeux, qui pourtant n’avait pas été perçue au quotidien durant le processus).

Un processus en sourdine

La préparation à la transformation s’effectue par le travail psychique sous-jacent, par une installation des fondations venant soutenir en soubassement le changement émergent. Ne se réalisent les mises en œuvre, les actions libératrices que lorsque le sujet est prêt. Et il  saura qu’il est prêt lorsque le changement sera visible à ses yeux et aux yeux de tous. Sans qu’il l’ait anticipé, ni senti venir. C’est un décalage, un pas de côté imperceptible, une fermeté nouvelle. On ne peut pas dire tout de suite ce qui a changé. Quelque chose s’est déplacé. Comme si quelques pièces d’un puzzle avaient légèrement bougé. Cela modifie l’ensemble, même si on ne saisit pas de suite quelles pièces sont touchées.

Dans l’analyse, l’indicible a été dit. Et ça remodèle le rapport au monde, aux autres. Quelque chose qui était coincé se dé-fixe. Et le flux d’énergie court à nouveau.

Un savoir au  cœur de l’être

La transformation commence et se situe d’abord au plus intime. Elle ne peut être appréhendée tant qu’elle est au cœur de l’être, sans distance. Le processus de changement est continu, et se réalise à l’insu du sujet. Seul l’effet extérieur sera perceptible. D’abord, quelque chose se constitue à l’intérieur, un savoir qui était déjà présent, mais enfoui, recouvert de contre-vérités, de croyances, d’aménagements divers. Ce savoir va s’amplifier, s’enrichir d’éléments de l’inconscient personnel, de symbolique, de mots, de phrases, pour ensuite  s’autoriser à paraitre au grand jour du conscient. C’est sur ce savoir non intellectuel qu’est basée l’analyse. Ce savoir ne peut être ‘convoqué’ à grand fracas, il ne sert à rien de le provoquer. Il ne peut se vouloir, ni se rechercher frontalement. A partir de ce savoir nouvellement émis, le conflit pathogène va s’apaiser jusqu’à devenir gérable.

La désagrégation du symptôme

Le symptôme se convertit dans le conscient. La compréhension du symptôme, de l’intérieur, par l’approche progressive, continue, régulière, des petits et nombreux éléments qui le constituent, le grignote, le désagrège en particules qui se désolidarisent, ne tiennent plus ensemble. Le symptôme puissant et simplificateur, agrégat d’énergies collées à lui, se mue par l’analyse en la multitude des éléments premiers qui l’ont édifié. Il se défait de lui-même, se démet de ses fonctions, désenclavé, désactivé, désarçonné.

Entre

Apparait alors la possibilité du mouvement, du jeu, de l’ ’entre’ : entre l’analyste et l’analysant, entre le présent et le passé, entre le conscient et l’inconscient, entre les séances, entre le déroulement intérieur à bas bruit, et l’émergence extérieure sonore, entre les peurs et les désirs, entre les rêves et la réalité. Dans ces interstices propices aux échanges, ce qui était figé circule. Il y a séparation, dé-collage de parois. Profitant de ces espaces de liberté, les déplacements se multiplient, laissant affleurer à la surface puis prendre place les nouvelles façons de considérer les évènements, les évidences et les prises de conscience faisant leur place d’elles-mêmes.

Il existe ainsi une continuité entre le mouvement silencieux des rouages intimes qui se dénouent, se renouent, et le déploiement à la lumière de l’extérieur.

La séance sert de catalyseur et le temps entre les séances permet de décanter. L’efficacité du processus analytique repose sur le laisser agir, l’observation, la durée, et non sur le forçage, la volonté, le chantage ou la persuasion.

Inspiré par :

François Jullien : cinq concepts proposés à la psychanalyse. La transformation silencieuse.

 

 

 

 

La procrastination

La procrastination est un sujet récurrent et qui touche beaucoup d’entre nous. Qui n’a pas eu envie de remettre à plus tard un travail difficile, de laisser de côté des tâches administratives peu avenantes, de différer le paiement de telle facture au point de dépasser le délai, d’ajourner l’occasion de parler à une personne à qui on a quelques chose de difficile à dire ? Qui n’a pas temporisé, hésité, été freiné par  une incapacité à décider, à agir ?

Qu’est ce que procrastiner ?

Chacun d’entre nous connaît ces moments où il remet à plus tard une tâche qu’il se promet de faire, un autre jour.  Quitte à ressentir, si cela se reproduit, une certaine mauvaise conscience. Le sentiment que ‘ce n’est pas bien’, qu’il ‘faut s’y mettre’, ne plus ‘laisser trainer.’ Les bonnes résolutions se mettent en place, pour rassurer un moment : ‘c’est sûr, je vais le faire demain, demain sans faute, je m’y mets’ . ‘Allez, je termine ce travail dans la semaine, promis, juré !’

Certains sont des procrastinateurs réguliers. Parfois, ils accumulent tellement de tâches non accomplies: courriers ou courriels non ouverts depuis des mois, rangement jamais réalisé, travail jamais terminé, décisions non actées, que des conséquences fâcheuses s’ensuivent, les plaçant dans des situations très délicates : impayés, désordre, sanction, stagnation, immobilisme, voire repli sur soi.

Et ces procrastinateurs finissent aussi par vivre un calvaire d’angoisses et de culpabilités. Car le surmoi s’en mêle : on n’est pas content de soi, on est encombré par l’ampleur de ce qui est à faire, ou par le désordre, on a une montagne devant soi et on n’a de moins en moins envie de la gravir.

L’idée de se mettre en mouvement peut ouvrir à de telles angoisses que l’on préfère fuir, quitte à augmenter l’accumulation, et donc la difficulté à agir!

Le cercle vicieux est en place. Une résistance s’installe, le fonctionnement s’enraye, et se répète.

Or, quand il y a un blocage,  la contrainte extérieure n’en vient pas à bout. La volonté n’y suffit pas.

Signification et hypothèses de la procrastination

Le mot procrastination vient du latin procrastinatio et signifie ajournement. Autrement dit, ‘renvoi à une date ultérieure’. Et même, plus précisément, ‘renvoi à demain’.

Procrastiner c’est différer, reporter, temporiser, ajourner, atermoyer, tergiverser. Tous ces verbes indiquent la présence d’une hésitation, d’une suspension, marquent un temps  entre maintenant et le moment d’agir.

Procrastiner, serait-ce demander un sursis ?  proposer un délai ? quémander un répit ?

La décision est prise : ‘je le ferai demain’ . c’est un soulagement, une fin en soi , une certitude. Un apaisement.

Ce report serait-il  un espace de vie, une respiration nécessaire ?  est-ce un désir d’échapper au temps, à l’horloge impérative?  est-ce un espace de liberté pour se hisser hors des contraintes, et contempler un moment le temps, sans y être soumis ? est ce un besoin de retrouver un rythme propre face à une vie organisée par l’extérieur ?

Le temps suspendu

Le procrastinateur imagine la réalisation du désir, et projette son accomplissement dans un futur proche. ‘Ce travail sera terminé demain.’ Or, parvenu à l’échéance qu’il s’était fixé, il ne démarre pas l’action envisagée, se tourne vers d’autres tâches, fait diversion, laisse le temps filer. Le désir n’est pas transformé en action.

Ainsi, le sujet ne demeure-t-il pas dans l’illusion d’être libre ? il ne s’est pas engagé, les possibilités sont ouvertes, devant lui, prêtes à être saisies.

Souvent,  des comportements addictifs ou compulsifs se mettent en place destinés au remplissage de ce temps qui n’est pas consacré à l’engagement dans l’action.

Qu’est ce que l’action ?

L’action permet d’extérioriser le désir, et de le confronter au réel. Pour agir,  une synthèse entre le désir et la réalité se constitue. Confronté au réel, le désir perd sa part d’idéalisation. Il libère aussi une part de sa charge énergétique. Psychiquement, cette libération entraine un vide, dans un premier temps, appelant un autre désir à se former. Est-ce la peur de ce moment de vide qui retient le procrastinateur d’agir ?

Pour agir, il faut choisir. La moindre action est une somme de choix, minuscules, qui en s’ajoutant, forment le mouvement d’ensemble.

Est-ce la faculté de choisir qui est en panne chez le procrastinateur ?

Ce qui est en jeu

Nos fonctionnements sont inscrits entre deux pôles complémentaires, indissociables, que sont l’activité et la passivité, le mouvement et l’immobilité; On peut y ajouter  la confrontation au réel et la fuite.

Le procrastinateur s’installe, pour une part de lui, dans  un retrait.  Sa résistance à l’action rappelle celle de l’enfant qui refuse d’obéir à une injonction, et tient fermement sa décision.  C’est une opposition très importante pour lui, très fondatrice.

Est-ce que le procrastinateur n’a pas pu exercer, enfant, son opposition ?

Est-ce que, de ce fait, il a besoin, adulte, de se protéger contre l’invasion de son espace psychique ?

La mauvaise opinion de soi

La tension entre le frein posé au désir d’agir et les injonctions ou reproches faits à soi-même entrainent un stress et une culpabilité. Cette pression exercée ne fait qu’ajouter au mal-être et durcit encore le positionnement de résistance. Le psychisme s’enferme dans la répétition.

‘La norme de notre société est fondée sur la responsabilité et l’initiative’, (Alain Ehrenberg, la fatigue d’être soi’)  La sensation d’être en décalage par rapport à ce courant dominant aboutit souvent à une démission à soi-même, une position de dépréciation de sa propre identité.

L’inhibition de l’action

Quelles sont les peurs liées à l’action ainsi remise, reléguée à un hypothétique lendemain ?

Ce peuvent être :

La peur de se confronter à ses limites, la peur de ne pas réussir, de ne pas  arriver au bout de la tâche.

Ou au contraire, la peur d’arriver au bout, de finir, de se trouver devant le mur de la finitude et son vide.

La peur de se concentrer,  de s’isoler dans une seule activité, de quitter la dépendance aux sollicitations sociales extérieures illimitées  (réseaux sociaux par exemple)

La peur de ce lendemain, celui où on aura le temps, mais que l’on remet  indéfiniment au lendemain

La peur de l’inéluctabilité du temps :la remise à plus tard dilate le temps indéfiniment, ne laisse jamais entrevoir la fin.

L’inhibition de l’action peut être aussi le signal d’une fixation à un stade de latence, où l’on ne nous demandait pas de choisir, où les responsabilités étaient moindres, où nos actions étaient encadrées par le milieu extérieur (parentale, scolaire) . La  peur autrement dit de cette extrême responsabilité et liberté de la vie adulte.

Ce peut être le désir inconscient de prolonger un âge où les actes ne portaient pas à conséquence, puisque quelqu’un d’autre accomplissait ce que nous ne faisions pas.

La difficulté à s’engager sur le long terme, sur une durée, semble assez  prégnant.

L’angoisse

Une angoisse profonde peut naitre de tels freins à l’action.

‘Mais l’angoisse était née de l’impossibilité d’agir.

Tant que mes jambes me permettent de fuir, tant que mes bras me permettent de combattre, tant que l’expérience que j’ai du monde me permet de savoir ce que je peux craindre ou désirer nulle crainte : je puis agir. ’ (Henri Laborit, éloge de la fuite)

Mais si aucune action n’est possible sur le monde, alors celui-ci apparaît comme inaccessible, et le sujet rentre en lui-même.

La perte et le sujet

La problématique du désir et de son accomplissement est au cœur de ce sujet. Le désir en s’accomplissant signe sa perte. C’est précisément ce que  permet d’éviter la compulsion à procrastiner : s’accrocher à l’objet du désir, ne pas le perdre pour ne pas se perdre.

L’enjeu est de se séparer de l’objet, ne plus faire un avec lui, de s’en détacher en acceptant  sa perte, sa destruction dans l’action. Et ne pas se sentir entrainé, en tant que sujet,  dans cette perte.

Tant que ce détachement n’est pas opéré,  l’action, en tant que perte de l’objet désir, peut être vécue comme un risque d’anéantissement du sujet lui-même.

La procrastination est-elle une pathologie ?

Le mot utilisé depuis quelques années dans les medias renvoie presque à l’idée de maladie. En termes psychanalytiques, c’est un symptôme, qui peut être léger ou invasif, associé à d’autres la plupart du temps. Le degré d’angoisse- et l’ampleur de l’empêchement à  vivre seront déterminants pour décider de s’en occuper avec un professionnel.  Il peut y avoir un état dépressif sous-jacent.

En littérature, un exemple de résistance à l’action est donné par le héros de Melville, Bartleby. Celui-ci, employé aux écritures dans une étude de juriste new-yorkaise, répond à toute demande sortant de son domaine strict, qu’est le recopiage des minutes (avant internet !) : ‘je préfèrerais ne pas’ une des traductions de ‘I would prefer not to’.  La formule est immuable, répétée de façon imperturbable par l’homme, et finit par s’étendre à toute action. Aucune agressivité, aucune animosité, ni mouvement émotionnel quelconque. Juste la phrase, jusqu’à l’immobilité totale.

En conclusion

La procrastination soulève les grandes problématiques inhérentes à notre société : problématique de la fragilité identitaire, du vide, de l’insaisissabilité du temps, de ‘l’initiative individuelle et de l’impuissance à agir’, ’la confrontation entre la notion de possibilité illimitée et celle d’immaitrisable’ (Alain Ehrenberg, la fatigue d’être soi).

 Références

Pour en rire et dédramatiser, un article de Marie Desplechins, savoureux : L’art de remettre au lendemain, l’express.fr

Melville, Bartleby, et autres nouvelles.

Henri Laborit : Eloge de la fuite

Alain Ehrenberg : La Fatigue d’être soi

 

La mémoire inconsciente

La mémoire se divise en deux compartiments

La mémoire explicite, constituée des souvenirs anciens et récents accessibles à la conscience divisée en : Mémoire à court terme, Mémoire à long terme.

Cette mémoire permet de raconter, de relater des évènements de vie (mémoire épisodique ou auto-biographique). Elle comprend également le savoir, les connaissances et concepts dont s’est enrichie la pensée, les outils de la réflexion abstraite (mémoire sémantique)

La mémoire implicite, elle, n’est pas directement accessible. Elle est composée de tout ce dont nous nous rappelons, sans nous en souvenir.

Un grand nombre de souvenirs sont entrés dans l’Inconscient, pour toujours. Ainsi en est-il, la plupart du temps, des vécus de la petite enfance, avant l’âge de 7 ans. Rares sont ceux dont la remémoration est possible. C’est l’amnésie infantile. Or, ces souvenirs ne sont pas effacés. Présent en nous, leur contenu émotionnel et refoulé agit sur nos fonctionnements à notre insu. Ces réminiscences actives constituent le ferment de nos actions, et ont laissé des traces durables, indélébiles. Chargées affectivement, elles apparaissent dans nos symptômes, dans nos actes manqués, dans les motivations en profondeur de nos actes. Elles sont aussi dans nos rêves.

Ainsi, chaque nuit, nous nous rappelons à notre insu notre passé sans nous en souvenir. (Roland Gori)

Les goûts, les choix, les fonctionnements, les répétitions de comportements de l’âge adulte sont conditionnés en grande partie par ce refoulé, inaccessible directement à la conscience.

En effet, comment imaginer que ce terreau des premières sensations, des émotions fortes et chaotiques, de la gestion du pulsionnel infantile par l’entourage puisse ne pas laisser de traces en profondeur ?

Ces vécus oubliés mais non effacés, sont travaillés, transformés, et réactualisés par l’activité psychique, en permanence. Les résonances de ces traces mnésiques avec les évènements du présent  activent et brassent sans cesse leur chargement  affectif vivace. C’est ainsi que notre histoire ancienne, bien que partiellement ou complètement oubliée, œuvre dans l’ombre.

Le processus mémoriel soumet le matériau des souvenirs à des forces psychiques nombreuses, dont celle qui entraine l’oubli (refoulement).  L’oubli fait partie intrinsèque de la mémoire. Il en est un aspect, non une tare.

De plus, chaque nouvel évènement vécu et par conséquent mémorisé entraine une reformulation de l’ensemble.

Le travail psychique reconstruit les vécus mémorisés. Le souvenir est un reflet flou, imprécis et déformé du réel. Il est facile de constater par exemple qu’évoquant un évènement passé, nous nous voyons agir comme si nous étions extérieurs à nous-mêmes. Ceci montre que le psychisme ne reproduit pas le réel, mais en élabore une représentation.

Les neurosciences corroborent l’idée de l’empreinte émotionnelle des premières années de la vie. L’amygdale cérébrale est le centre de cette mémoire implicite, structure impliquée particulièrement au niveau émotionnel. Or, l’amygdale, la plus ancienne formation du cerveau (et la plus archaïque du point de vue de l’espèce) est en activité dans la petite enfance, bien avant les structures de la mémoire explicite ( dont l‘hippocampe) qui se construisent et deviennent matures les années suivantes. Ceci explique aussi pourquoi cette mémoire très ancienne est aussi vivace.

Dans la mémoire implicite se trouvent les sources des symptômes, des répétitions compulsives qui contiennent et enferment l’élan vers l’évolution personnelle.

La répétition existe tant que la pulsion refoulée ne trouve aucun écho dans le conscient. En effet, fixée à une période du développement infantile, la pulsion non élaborée car profondément remisée dans l’inconscient, ne s’est pas transformée, n’a pas trouvé de sortie symbolique. Elle  insiste donc, dans sa version archaïque, soumise à la contrainte du refoulement et voulant en même temps à tout prix se soulager. Elle se manifeste sous forme de retour à l’identique, laissant au sujet la désagréable impression d’un sur-place, sans que la volonté n’y puisse rien.

 La répétition est, elle aussi, une forme de mémoire. Elle est une manière de rappeler le passé par l’éternel retour du même… Elle présentifie une histoire sans souvenir (Marylin Corcos)

Toutes ces mémoires ont des connexions entre elles.

C’est la raison pour laquelle on peut agir sur les équilibres et libérer des mémoires inconscientes.

Ainsi, en psychanalyse, lever les secrets de la mémoire implicite entraine l’enrichissement de la mémoire explicite. Une partie des éléments refoulés transite par le seuil du conscient et entre en interaction avec les autres souvenirs déjà présents. La mémoire parcellaire du conscient se reconstitue de façon plus linéaire, des pans entiers restés dans l’ombre s’éclairent.

La répétition inconsciente laisse place à une construction pleine de sens, à un récit continu, donnant l’impression que des ‘morceaux du puzzle s’assemblent’ selon une formule souvent utilisée par les analysants. Cela correspond à un profond besoin chez l’humain de se repérer dans son histoire de vie, de considérer l’avant, pour envisager l’après. La mémoire autobiographique contribue à la symbolisation nécessaire pour dépasser les points de fixation dans l’histoire de vie.

Nos souvenirs sont en partie fantasmés, en partie oubliés, car ils font l’objet d’un travail psychique constant. Leur intégration dans les différentes mémoires et leur symbolisation contribuent à affirmer notre sentiment d’identité personnelle.

 

Références :

 Dans Cliniques méditerranéennes 2003/1 (no 67), p 100 – 108

Carnet PSY 2008/3 (n° 125), p. 32-35.

L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.

Les troubles psychiques: témoignages

Apprendre à connaître les troubles psychiques est nécessaire si l’on veut mieux comprendre ceux qui en souffrent autour de nous, et mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. En effet, nous sommes tous aux prises avec des symptômes et des excès, des tendances ou des peurs, issus des mêmes questionnements existentiels. Ceux qui traversent par moments les frontières de la santé mentale pour aller faire un tour de l’ « autre côté » nous en apprennent beaucoup sur nous-mêmes et sur les arcanes du monde psychique. Leur vécu, loin de nous effrayer, peut nous éclairer.

En effet, les pathologies psychiques sont des miroirs et reflètent les préoccupations et les contradictions auxquelles nous sommes tous confrontés. A certaines périodes de nos vies, nos propres capacités adaptatives déclinent, et nous devons rassembler nos forces de vie pour ne pas sombrer. Ou bien, nous fabriquons des mécanismes qui nous protègent, mais aussi nous font du mal, ou nous isolent. Nous avons tous nos bizarreries et nos « particularités ».

A cet égard, nous ne devrions jamais considérer l’autre en général,  et le souffrant psychique, en particulier, comme un être à part, différent.

Nous avons tous en nous des parts de ses souffrances, de ses outrances, de ses peurs, de ses provocations…il nous présente un aspect du réel qui nous interpelle : où est la limite entre le normal et le « pas-normal » ? Qu’a-t-il à nous dire, de cette façon si destructrice ?

Je pense qu’un bon moyen d’apprendre à connaître ce qu’est le chaos psychique est d’en lire des témoignages. Le témoignage est une formidable leçon de courage (oser s’exposer, dans sa partie la plus fragile, imaginez !) et de générosité : grâce à ces écrits, d’autres vont apprendre à mieux se soigner, et surtout à mieux s’aimer, à retrouver l’estime de soi, à avoir confiance en eux. « Je peux vivre, comme cette personne qui témoigne, avec cette maladie, sans me réduire à mon trouble ».

Ces parcours de vie montrent les souffrances et les luttes auxquelles les individus sont confrontés, et notamment la lutte contre soi-même qui s’avère épuisante, et surtout impossible, insupportable: l’ennemi est à l’intérieur !

On s’aperçoit alors qu’une existence ne se réduit pas du tout à la maladie. Dans une globalité, l’individu peut avoir à accepter sa souffrance et ses symptômes, qui font partie de lui, certes, mais au sein d’un ensemble plus vaste que cela.

Mais souffrances et luttes intérieures ne sont pas visibles à l’extérieur. Beaucoup se sentent très incompris, voire jugés. Ce qui est visible, ce sont les comportements apparemment insensés, la vision distordue de la réalité, et cela génère parfois de la peur, au minimum un malaise… Le rapport à l’autre est désordonné. L’instabilité, la dysharmonie qui règnent  à l’intérieur diffusent autour et provoquent des retours en décalage, des paroles blessantes, inutiles, en parfait inadéquation. La raison des autres, en effet, ne peur rien faire pour eux à ce moment-là.

Combien d’anorexiques ont entendu dire : « il suffit de la forcer à manger, et ça ira mieux ! » ou «  tu as encore maigri, on dirait une rescapée des camps ».

Combien de bi-polaires voient autour d’eux se forger un mur d’incompréhension, par un entourage dépité, qui ne sait plus à qui il a affaire ? A  la suite d’attitudes et de « crises » qu’ils ont parfois du mal à gérer « je ne le supporte pas quand il est ainsi, on dirait un enfant gâté »

Combien de schizophrènes, enfermés en eux, ne savent pas dire ni se dire, souffrent du mur qui les sépare des autres, et s’entendent traiter de « fou », voient la peur qu’ils inspirent à leurs plus proches, même à ceux qu’ils devraient rassurer ?

En effet, l’entourage est aux prises avec des comportements échappant à l’entendement, à la raison, des attitudes étranges. Il voit les excès, les enfoncements dans la non-vie, les dénis de la part de la personne touchée. Il voit la dissociation.

Le déni est un mal qui ronge en profondeur et de façon invisible. Le déni de tous : la personne touchée, qui peut mettre longtemps avant d’accepter de devoir vivre avec sa maladie, et l’entourage, affecté, qui ne veut pas non plus toujours accepter en totale conscience le « problème ».

A cela s’ajoute la culpabilité, bien sur : celle de pas être comme les autres, celle de se détruire, celle d’être un poids pour l’entourage, de lui faire subir ses contre-coups, ses extravagances ou ses repliements, ses silences ou ses colères, et de le mettre en échec : l’entourage se sent impuissant à aider, quelle que soit sa bonne volonté.

C’est une fois ce déni dépassé, que l’acceptation pleine et entière de la maladie, permettra de mieux la gérer, une fois la conscience augmentée. La maladie aura alors moins de prise.

Ceci ne se réalise qu’au bout d’un long travail sur soi, de recherche des ressources en soi, et de prises de conscience. L’écriture fait partie parfois de ce travail.

J’ai choisi de vous parler de trois de ces témoignages.

Anorexie-Schizophrénie, Trouble bi-polaire-: trois exemples de mal-à-être, de perte temporaire de la notion de réalité, de phase de démissions, de lutte pour faire entendre quelque chose…

Le démon intérieur de Sabrina Palombo fut l’anorexie, dont elle a été sauvée de justesse : A 17 ans démarre un régime qui l’amènera à un poids de 27 kgs, et à un internement psychiatrique pendant un an. Son livre témoigne de la force incroyable qu’elle a dû aller chercher pour s’en sortir.

Sabrina : « Je me suis ouvert la tête contre les murs de ma prison. Les médecins ont proposé à mon père de monter dans ma chambre alors qu’il ne m’avait pas vue depuis des mois. C’était peut-être ma dernière nuit ici-bas selon eux. »

Le corps torturé de l’anorexique fait peur, et son désir de pureté, d’absolu se déclare dans cette négation du charnel en elle.

Douloureusement, la renaissance a lieu, longuement, pas à pas. La maladie se transforme en une quête spirituelle

Sabrina : « Tandis que certains marquent leur rejet du passage au monde adulte en adoptant des comportements de révolte plus ou moins évidents, j’ai opté pour la nourriture comme moyen d’expression et d’opposition. Au-delà de cette crise d’adolescence, il y avait un véritable besoin de transcendance. Peu de gens mettent des mots sur cette quête spirituelle. La spiritualité est, sinon rejetée, au moins taboue. La jeune anorexique peine encore plus à saisir le sens du mal qui la ronge ».

Le combat de Sabrina, depuis, ne cesse plus. Elle a fondé une association, pour faire connaître la maladie, et aider les anorexiques à sortir de l’isolement. Pour agir, mettre des mots, transcender.

Gérard Garouste combat en lui les crises de délire, furieuses, éprouvantes, qui l’amènent immanquablement à l’Hôpital psychiatrique : camisole chimique, cocktail neuroleptique, seule façon de calmer la crise de psychose.

Gérard : « La sortie n’est pas une libération, c’est une punition. La réalité vous rattrape comme une brûlante coulée d’angoisse, et l’on se découvre faible et lâche. On s’effondre. »

Il raconte son enfance dupée, trahie, le secret de famille, la honte silencieuse, souterraine, alimentant la rancœur et la violence du paternel.

Il raconte une dépression qui a duré dix années. Puis sa conscience et son combat pour maintenir un équilibre, forcément fragile, qui le préserve de la rechute.

« Gérard : « je dois fuir la passion puisqu’elle m’égare, mais je ne peux pas. Mes intuitions se changent vite en obsessions, qui nourrissent ma peinture et ma folie. Il y a des frontières communes, que je passe et repasse. J’y laisse parfois un peu de ma vieille peau. »

Gérard est un peintre internationalement reconnu. « Je suis peintre parce que mes mains ont fait ma force, parce que des toiles puissantes et belles m’ont convaincu qu’il y avait là une voie pour moi. »

 Hélène Pérignon, éditrice, a un trouble bi-polaire, passant par des phases longues de dépression, puis des crises maniaques agitées, désordonnées, dévastatrices. Cela lui  a été particulièrement difficile d’accepter sa maladie, car elle-même avait souffert dans son enfance de la bipolarité de sa mère, gravement atteinte par la maladie,  régulièrement internée, et qui, après son retour d’hôpital, restait encore dans un état d’hébétude de longs jours. « Elle vivait à son rythme, dans son petit monde, sans vraiment se soucier de son rôle de maman. »

Il lui faut du temps pour accepter le diagnostic. Puis pour accepter de se faire soigner lorsque la crise est là.

Hélène : « Je m’acharnais à me persuader que tout était normal, et que j’allais bien. Toutefois, je me sentais de plus en plus déstabilisée, les doutes s’amplifiaient, accompagnés d’angoisse et confortés par le discours de mes proches. Période horrible. On se sent vaciller, sombrer. On sait déjà pertinemment que la crise est là, de nouveau, mais on ne peut s’y résoudre. On lutte. Tiraillements féroces entre une partie de soi, exaltée, qui déborde d’énergie, et n’accepte aucune limite et l’autre, en alerte, qui perçoit le danger et la nécessité de mettre un frein à tout ce désordre »

Hélène a finalement appris à vivre de façon très  consciente son trouble bipolaire, de sorte qu’elle en soit le moins affectée possible dans sa vie, tout en intégrant les risques et les réalités de sa maladie et en restant particulièrement vigilante sur son équilibre de vie.

En conclusion, Hélène dit : « je suis bipolaire, mais je me place résolument du côté de la vie .J’ai apprivoisé mon trouble et j’ai appris, avec le temps, à gommer les parenthèses. »

 Bibliographie :

– Sur l’anorexie: Sabrina Palumbo : L’âme en éveil, le corps en sursis. Editions Quintessence.  SabrinaTCA92: se relier aux fragilités pour se relier à l’univers

– Sur la schizophrénie: Gérard Garouste: L’intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. Editions L’iconoclaste.

– Sur le trouble bi-polaire: Hélène Pérignon : je suis bipolaire mais le bonheur ne me fait pas peur ; Editions Hugo Doc

L’Inconscient

Comment parvenir à la connaissance de l’Inconscient?

Nous n’y avons accès que par le Conscient, après qu’il ait transformé, traduit l’Inconscient. Ceci se travaille en analyse, mais, pour l’analysant, non sans avoir surmonté des résistances, autrement dit les forces poussant à garder refoulées les motions inconscientes pour les empêcher d’accéder au Conscient. La partie inconsciente du psychisme se décrit selon trois points de vue :

– le point de vue dynamique : le psychisme comprend tout ce qui a été formé par l’ Inconscient, dans le but de construire un compromis avec la réalité. Les vécus mémorisés et les pulsions du ça, forment un ensemble synthétisé, que l’on appelle « les formations de l’Inconscient », qui s’expriment à l’extérieur sous forme de symptômes, oublis et autres actes manqués, ainsi que toutes les pensées, associations, affects, dont l’élaboration échappe au conscient, se reflétant dans les comportements, habitudes, émotions, pensées.

– le point de vue topique : Il s’agit de systèmes de fonctionnement dont les forces opposées créent une tension permanente. Equilibre et déséquilibre se succèdent. Le refoulement est une sorte de censure qui sépare l’Inconscient du Conscient. De nombreuses représentations de l’enfance ont ainsi été refoulées, en raison des multiples contraintes imposées par le Moi et le Surmoi.

Cependant, les affects liés aux représentations inconscientes, quant à eux, cherchent à se libérer du joug du refoulement. « Le refoulement agit par le retrait d’investissement des représentations tandis que l’affect libéré se transforme en angoisse ». Le “retour du refoulé” prend différentes formes, par exemple substitutives, comme la phobie.

La cure par la parole, en psychanalyse, permet d’amener au conscient ces motions refoulées, sous forme de traces mnésiques, pour les intégrer aux autres contenus, ce qui revient à désactiver ainsi leurs charges négatives et les prive de leurs propensions à s’amalgamer coûte que coûte à des représentations actuelles. Tant que ces contenus inconscients investissent pulsionnellement les contenus actuels, il n’y a pas de possibilité de faire varier durablement et profondément les choses. Il existe plusieurs mémoires, et la psychanalyse œuvre à la mise au jour de ces traces mnésiques infantiles oubliées, déchargeant ainsi les pulsions fixées, et permettant la transformation des registres d’investissement du réel. Les mots ont une charge symbolique très forte, en rapport avec les nœuds inconscients, d’où l’efficacité des cures par la parole.

– le point de vue économique : « Il rend compte des investissements, des rapports de force et du travail de transformation. Le refoulement des représentations inconscientes est maintenu par les contre-investissements. Selon l’avantage pris par le pulsionnel ou par les défenses, on distingue les formations substitutives (la phobie), les formations de compromis (la conversion hystérique), et les formations réactionnelles dont, par exemple, les traits de caractère. »

Dans le noyau de l’inconscient, les “motions pulsionnelles » sont coordonnées les unes aux autres, existent sans être influencées les unes à côté des autres, ne se contredisent pas entre elles.