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Le temps du confinement

C’est un temps bien particulier que nous sommes amenés à vivre, collectivement, et pourtant socialement séparés les uns des autres. Un temps qui offre des possibilités de réflexion, qui ouvre des perspectives de pensée nouvelles.

Nous avons connu, tout d’abord, une secousse,  due à l’arrêt brutal de toute activité extérieure. Le mouvement interrompu en plein élan provoquant un ébranlement psychique nous a un peu sonnés. Une déstabilisation a suivi.

Cette perte d’équilibre fut notre première épreuve.

Puis est venue la sidération, après la secousse. Nous avons compris que réellement, nous allions devoir nous organiser à l’intérieur de nos habitations, mesurant ce à quoi nous allions devoir renoncer. Cela s’amplifiait de jour en jour, des projets, des sorties, des voyages, des évènements que nous nous apprêtions à vivre, tout à coup, n’allaient pas se tenir. Des reports, avons-nous pensé dans un premier temps. Puis les jours et semaines passant, nous avons compris que ce seraient purement et simplement des annulations. Ces évènements n’auraient pas lieu. Ou dans un lointain non mesurable.

Ce fut la deuxième épreuve de perte, le temps de la frustration.

Nous avons alors organisé notre travail, nos vies personnelles, avec les outils de communication à distance, expérimentant visioconférences, plateformes de partage, et le bon vieux téléphone, bien sûr, représentant du monde ancien, valeur sûre et pérenne.

Ainsi, c’est l’apprentissage du relationnel sans contact physique. Nous apprenons à nous conduire ensemble, à prendre des décisions, à nous réunir, à nous parler, à nous regarder, par écran, sans la perception du corps de l’autre, sans les subtiles réactions, les émotions vibrantes sur les épidermes, les mouvements infimes, sans cette ouverture inconsciente au corps de l’autre.

Nous avons même appris à nous méfier de l’autre : dans la rue, au cours des courtes sorties, les passants ne se croisent plus, changent de trottoir, s’observant d’un air méfiant, regard en dessous, craignant cet autre, potentiel vecteur de maladie ; vision toute paranoïaque du monde.

Le contact corporel ou oral (les gouttelettes porteuses dont il faut se protéger par masques, écrans etc.) est interdit. Le contact, source de stress. Nos peaux, le toucher, mis en cause.

Perte de la dimension corporelle du contact, donc.

Le mouvement à l’extérieur est très limité, tout déplacement doit être accompagné d’un justificatif, de case à cocher, quelques raisons sont seules autorisées.

Ainsi nous avons perdu notre autonomie, notre liberté d’aller et venir, enfants au stade de latence, dans une dépendance extrême, soumis à un Surmoi menaçant, relayé par les figures de l’autorité que sont les gouvernants et les scientifiques.

Durant ce temps, notre comptabilité quotidienne : nombre de morts, d’hospitalisés, de contaminés, dû au Covid-19  pour chaque pays et dans le monde, schéma, courbes, graphiques, pour tenter de rationaliser, de comprendre, de maitriser ? nous apporte un flux ininterrompu de macabres nouvelles véhiculant de l’angoisse. Nous évaluons la menace que la maladie fait courir à tous, surtout à ceux de santé fragile. Une division s’établit morbide. Un certain écart s’opère, on espère l’immunité. Rien pourtant ne nous la garantit.

Nous sommes pris entre deux feux: se retrouver ensemble pour augmenter l’immunité globale, mais avec le risque de maladie et de mort. La protection parfaite n’existe pas. La menace court, enfle.

La dimension de notre mortalité nous apparait clairement. S’opère un rapprochement de la possibilité de notre mort. Même si nous aimerions continuer à la maintenir à distance.

La prise de conscience de notre fragilité nous imprègne sourdement.

La  menace virale actualise des questions difficiles qui préoccupent ou devraient préoccuper l’ensemble de la communauté humaine : les effets de la mondialisation, les rapports entre les espèces, notre respect ou irrespect de la nature, notre potentiel biologique d’immunité, les liens humains, nos mouvements sur la planète, nos modes de vie… la vie mondiale est à interroger.

Perte de notre sentiment de toute-puissance ?

Privés de …nous sommes confrontés au manque de contact, à la perte du mouvement, à la possibilité de la disparition, à l’arrêt de la course sans fin pour l’avoir, le confort, l’argent.

Et si cette perte ouvrait un espace ?

 L’acceptation de la perte enclenche un travail de deuil : un processus de désinvestissement des anciens objets s’accompagne d’un réinvestissement de substituts. Nous nous sommes détachés de certains centres d’intérêt, d’autres ont pris la place.

La situation nous conduit à prendre conscience du lien entre les êtres vivants. Entre le biologique et le social. Le monde n’est pas cloisonné, il fonctionne par résonance. Chacun est concerné par l’état de tous les autres.  La situation nous conduit à penser autrement le rapport à l’autre individuel et aussi au groupe, à la communauté, à la foule. L’inconscient collectif se nourrit.

L’espace intérieur est réinvesti. L’intériorité prend une plus grande place. C’est un temps pour le travail des inconscients personnels favorisé par cette phase de régression à l’intérieur de soi-même.

Pour certains, cette mise à distance physique et émotionnelle de l’extérieur est bénéfique, on laisse dehors les tensions, le relationnel négatif n’est plus à gérer.

Il y a place alors pour le plaisir de sentir la dimension intime de son psychisme, et le constat agréable que l’on s’entend bien avec soi-même.

Cependant, pour d’autres, cette période est vécue dans les tourments : sentiment de solitude, anxiétés, peur de sortir, l’extérieur trop menaçant. Et aussi crainte de la dépression, quand le social fait défaut, quand se retrouver avec soi est douloureux, engendre l’angoisse du vide.

Pour tous, c’est une oscillation de l’état psychique soumis aux fluctuations émotionnelles, au gré des contacts avec l’extérieur, de la montée ou descente du sentiment d’angoisse face à l’avenir.

Pour gérer ce temps, les outils de communication à distance, déjà bien intégrés dans nos vies,  s’avèrent dans cette circonstance particulièrement aidants. Leur utilisation devient créative, chacun expérimente les possibilités de continuer les activités en contact, le travail ou les loisirs, l’amitié. La technologie est au service de l’être. L’humain intègre, fait sien, adapte l’outil à ses besoins fondamentaux ; l’humain humanise la technologie.

L’être humain fonctionne dans l’altérité. L’individu se construit au sein du  social. ‘…toute créature humaine, née de l’autre, fondée sur l’autre, instruite par l’autre, ne fonctionne.. qu’au gré et au hasard d’une altérité irréductible.’ (Pascal Quignard, Les ombres errantes)

Ce temps dit de confinement nous conduit précisément à penser le rapport à l’extérieur. A penser nos manques, nos désirs,  à imaginer notre retour dans le monde sensoriel et collectif  parmi les membres  de la communauté humaine.  Le ‘nous’ structurant notre moi.

Le retrait social  nous a , semble-t-il, conduit à imaginer toutes les stratégies possibles pour demeurer en interaction, vivants parmi les autres, avides de conversations, de paroles, d’amitiés, de partage des vécus.

Le sentiment du collectif n’a peut-être jamais été aussi présent. Il imprègne nos sphères privées comme jamais.

Que de perspectives pour la suite…

Car que sera l’après ?

Nous avons conscience que des changements sont à venir : nous savons que plus rien ne sera comme avant. Qu’est ce qui va changer ? qu’aurons-nous à vivre de différent ? Personne ne peut le prédire. Chacun peut imaginer retirer les bénéfices de cette période de retour sur soi, pour penser sa vie autrement. Avant, tout le monde s’accordait à dire que c’était la course, l’impossibilité d’échapper au temps qui file, aux tâches infinies, au bruit social, aux obligations énergivores.

Ensuite, aurons-nous envie de plus de silence, de retrait, de réflexion sur le sens de la vie ?

On peut supposer aussi que nous serons attirés par ce que nous avons dû abandonner durant ce temps, selon un besoin de compensation naturel:  boire un verre à une terrasse de café au soleil, marcher le long d’une plage, découvrir une ville du monde, goûter les plaisirs d’une fête entre amis…  ces retrouvailles avec des composantes de la  vie d’avant, nous les espérons, et nous les craignons aussi un peu: comment allons nous les vivre? quelles seront les séquelles de cette période?

En profondeur, nous serons amenés à vivre une transformation dont nous ne connaissons pas la nature. Chacun élabore son histoire personnelle du confinement. Le vécu collectif habite aussi chaque psychisme.

Les rêves, déjà, montrent que quelque chose est à l’œuvre, qui travaille en profondeur.