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Le silence et la parole

La psychanalyse  est appelée ‘cure par la parole’. La parole émerge, portant l’actualisation du sujet dans son histoire. Le dénouage des fixations névrotiques passe par l’existence de l’être dans sa parole, d’où va partir la guérison. Ses mots trop longtemps contenus devancent l’émotion libératrice. Le sujet dit, donc se dit. Cette parole authentique contient en elle ses zones de silence, ses peurs, ses hésitations, ses pleurs. Ses ombres et ses lumières. Ses images inaccessibles.

Cette parole-là s’articule au silence. Un silence porte un monde en lui. Il est plein, fort, gracile et sauvage. Il contient l’histoire du sujet, aussi. Sa prouesse à être venu là, parler de lui, lui qui avait si peu d’importance, qui s’était laissé réduire, oublier.

Le silence est la liberté de l’individu, liberté de parler, liberté de se taire, garantissant l’inviolabilité de son espace psychique. S’autoriser à ne rien dire, ne pas faire de la parole une obligation, un remplissage convenu, une imitation.

Du silence nait la pensée. Elle s’élabore en premier dans le silence avant d’être articulée dans le langage. Le rythme parole – silence souligne l’intensité de la relation entre l’intériorité et l’extériorité. Parler c’est extraire de soi ce qui pourrait ne pas être dit, qui sera choisi pour être dit, parmi un foisonnement de possibilités. Parler c’est agir, en ce sens.

Le silence est un marqueur de confiance.  On sait que l’autre, en l’occurrence l’analyste,  va l’accepter, ne pas l’interrompre, ne pas chercher à lui échapper par un vide de paroles. Le silence en ce cas est accordement entre soi et l’autre. Donc entre soi et soi.

Le silence en séance dit : ‘Je suis à l’écoute, en moi, de ce que je ne dis pas’. Et je choisis de dire ou pas. Ce que j’ai à dire ne s’énonce pas toujours. Il est mon secret. Il est ma sécurité. Hors de la tyrannie du ‘tout-dire’. Du tout langage.

‘entendre

où la parole

ne fut pas prononcée

le vide pourtant

qui l’a fait naitre’(1)

Le silence est aussi celui de l’émotion. Une vague émotionnelle se déploie hors les mots, débordant, peut-être submergeant. Ce seront alors les lèvres tremblantes, les yeux humides, les larmes coulantes, voire les sanglots. Difficile de mettre des mots sur l’émotion. On essaie. On tâtonne. Parfois des mots simples, pour exprimer un contenu émotionnel intense, bouleversant, riche de résonances.

Nous vivons les premiers temps de notre vie hors langage. ‘Cet avant…perdure, survit tout le cours de notre existence…Il oriente nos désirs les plus fous, et même les plus sages. J’y vois à la fois la source et l’horizon de notre pensée’ (2) . Une partie de notre vie se situe en deça des mots : la vie onirique, faite d’images, les sensations profondes, l’appréhension du monde par les sens, la vie de nos cellules….  Comment s’organise, ou pas, la part de nous indicible, qui ne s’énonce pas clairement, ou pas du tout, qui se situe au plus profond de l’inconscient, dans le corps ? Quelle place occupe-t-elle dans notre psyché ?  N’est-elle pas toujours là, aux arrières postes, enfouie et présente ? Cette langue muette, en nous, prend vie parfois, dans la parole libérée en séance. Elle est associative, elle est ouverte aux résonances. Elle nous surprend par sa vivacité. Par sa consistance. Par ses nuances.

A une autre extrémité, la parole sans silence, elle, peut devenir piège, voracité orale, désir fusionnel, incapacité de couper, de se mettre en retrait. Un débit verbal ininterrompu n’est-il pas volonté d’échapper à un silence potentiellement angoissant ?

La peur du silence émane de la volonté de vivre même, ce ‘vouloir-vivre ‘ originel (et sans conscience de lui-même) de Schopenhauer : Comment me sentir exister si je ne suis pas audible, par les mots, dits, écrits, les fameux messages rapides (short Message System) ? comment exister si je n’existe pas par la parole et la communication, par le relais de l’autre. Comment exister dans le silence ?

Silence peut être vécu comme un gouffre. Vide, il fait si peur qu’il faut s’en protéger par des moyens sonores, de l’interaction en permanence, du discours incessant.

La parole en psychanalyse s’accueille dans le silence bienveillant de l’analyste, l’acceptation, l’espace interpsychique des deux interlocuteurs. Aucune froideur dans ce silence-là, pas de posture figée, le silence permet l’écoute, l’accompagnement, l’encouragement, il aide à aller plus loin dans la pensée, le cheminement, ce silence-là ne néglige pas la parole. ‘Le silence pour le silence n’a aucune valeur, il est une forme du mépris’. (3)

La parole est aussi celle qui dénonce, énonce, fait sortir de l’omerta, du flou. Témoignages de victimes disant l’indicible, mots sur les détails de l’abus, impudeur pour dire ce qui était resté flou, même si ‘tout le monde savait’. Mais le dire en précisions fait sortir l’horreur du bois. Et oblige à s’y confronter. A ne pas écarter, négliger, nier. Le dit troue la chape de plomb. Le dit dérange. Le dit offusque. Le dit soulage celle ou celui qui dit, même longtemps après, surtout longtemps après, et la/le libère, en partie,  de la souffrance, de la culpabilité. La parole fait reconnaitre la souffrance.

La parole est bien sûr celle qui tisse le lien, social, intime, amoureux, amical, familial. La rencontre aura lieu à condition que soient respectées par chacun les zones de silence de lui-même et de l’autre. Chacun cultive son ‘jardin secret’ dit-on, à savoir, son intériorité protégée, non partagée, non énoncée à l’extérieur. Ce dialogue avec soi-même dans le secret de l’être permet de rencontrer l’autre, avec une frontière bien établie entre lui et soi.

Le silence comme base. Comme point de départ et comme fin. La parole s’inscrit sur le silence en filigrane.

‘La véritable musique est le silence, et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence’  Miles Davis

  • 1 Bernard Desportes, le cri muet, Editions Al Manar
  • 2 B. Pontalis, avant, Editions Gallimard
  • 3 David Le Breton, du silence, entretien Télérama, août 2016

 

Les racines psychologiques de la violence

Le public n’a pas toujours pris conscience du fait que ce qui arrive à l’enfant dans les premières années de sa vie peut avoir une incidence sur son comportement et son degré de violence, plus tard. Ainsi s’exprimait Alice Miller, psychanalyste ayant publié plusieurs ouvrages s’intéressant aux racines de la violence dans l’éducation de l’enfant.

Les réactions face à la terreur, sur les plans juridiques, politiques et sociétales, font état des moyens à mettre en œuvre pour éradiquer la violence, et supprimer la graine qui pousse, chez ceux qui s’y adonnent.

Ceci ne se fonde pas sur une connaissance intérieure, émotionnelle, que les professionnels de l’écoute développent dans le cadre de leur travail.

Une éducation ne peut être réellement bonne si elle ne s’appuie pas sur l’empathie et l’écoute de ce qu’est l’enfance, fondée sur une connexion à sa propre enfance.

Les parents, pédagogues et éducateurs n’ont généralement pas appris cela eux-mêmes, et transmettent en l’état les principes éducatifs qu’ils ont eux-mêmes connus.

D’où provient cette graine qui pousse est une chose, quelle est la nature du terreau dans lequel elle pousse en est une autre.

Cette connaissance du monde intérieur, du psychisme en formation, si elle n’est pas prise en compte, manque à tous les niveaux, et ne permet pas d’aborder les problèmes de façon complète. Il manque la connaissance du socle, de l’essentiel.

Tout se joue avant 3 ans, disait-on du temps de Dolto.

Alice Miller a longuement étudié les effets néfastes de la pédagogie, de l’éducation, quand elle nie le vivant en l’enfant, et quand elle humilie celui-ci.

Elle a ainsi étudié l’enfance de certains personnages, devenus tortionnaires, ou meurtriers, ainsi que celle de dictateurs : Enfances faites d’humiliations profondes et répétées, de brimades et maltraitances caractérisées, et/ ou d’indifférence totale à l’égard de sa réalité intérieure.

Comprendre ce qui se joue dans l’éducation et le rôle de tous les adultes face à la jeunesse est indispensable si l’on constate que des effets pervers et profondément dangereux sont issus de la manière de faire précédente.

La première raison qui engendre ces méfaits éducatifs est le fait que l’adulte a la plupart du temps refoulé la réalité vécue de son enfance, et même l’a transformée en une vision idyllique.

Or, pour peu qu’on veuille bien se pencher avec un peu de sincérité sur son propre parcours, on s’aperçoit que l’enfance est un lieu de souffrance et de maturation. On ne peut prendre pour réalité intangible, ni dénier toute valeur, aux propos d’un enfant. Mais il est à considérer comme un être en construction, en maturation, en train d’acquérir les connaissances sur le monde et les autres, qui lui permettront plus tard d’avoir un comportement, et un avis. Il est en train de devenir un adulte responsable de sa vie.

Pour ce faire, il a besoin de certains ingrédients essentiels, qui font défaut hélas, dans bien des cas.

Ces ingrédients sont à réunir dans un ensemble cohérent qui s’intitule : le respect de sa nature d’enfant. Encadrer un enfant n’est pas l’obliger à penser de telle ou telle façon. L’encadrer c’est déjà l’assurer dans le fait qu’il grandit dans un entourage fiable, à l’écoute, et non esclave. Un entourage composé d’adultes  qui entourent, précisément, qui protègent et considèrent l’enfant comme un sujet en devenir. Non comme un objet passif et vide. Ou comme un individu déjà mâture.

Toute éducation devrait être une interaction : on devrait apprendre à penser, au lieu d’apprendre à avoir telle ou telle opinion ou idéologie. On apprend des valeurs, si ces valeurs sont véhiculées par l’entourage. Si l’entourage ment, et que les mots entendus sont : « Il ne faut pas mentir », rien ne sera possible, aucune confiance ne présidera aux relations. Le discours paradoxal entraine une perversion du comportement : l’enfant fera semblant, pour ne pas déplaire. Il ne sera pas sincère. Ni vrai.

On devrait aussi apprendre aux enfants l’empathie et le bien-fondé des émotions.

Malheureusement, et c’est une énorme lacune, ce qui est émotionnel est banni, fait peur, est refoulé par la plupart des adultes, éducateurs, pédagogues et parents compris. L’émotion est vécue par beaucoup comme ennemie de la « raison » qui devrait nous éclairer.

C’est oublier un peu vite que nous sommes constitués d’émotions, en tant qu’êtres vivants. L’émotion est inhérente à notre construction, et la sensibilité extrême de l’enfant l’amène à absorber, avec une grande intensité, les sentiments et les affects dont il est l’objet. Il perçoit de plus les émanations inconscientes, les contradictions de l’adulte, si celui-ci a un discours et un comportement opposés.

Le respect de sa nature d’enfant implique donc le respect fondamental de sa sensibilité d’enfant. Or, la sensibilité de l’enfant fait peur : L’adulte n’a la plupart du temps pas d’autre défense que de faire taire cette sensibilité, tout comme il a appris à refouler, lui-même, toute ses émotions dans sa propre enfance. Il a peur souvent de ce regard d’enfant sur lui, de la vérité contenue dans ce regard. Il en a peur car il n’a pas fait le deuil de sa propre enfance, il n’en a pas compris l’enjeu. Il éduque comme il a été éduqué : par la répression des affects les plus puissants, des peurs, des désirs. Non par leur écoute, leur compréhension, leur canalisation, pour créer les conditions favorables à leur transformation en force positive et constructive.

L’éducation oublieuse des éléments essentiels propres à un développement harmonieux d’une personnalité d’enfant, est un danger. Elle aboutit, en cas de défaillances importantes, répétées et sans recours à un repère adulte fiable, et aimant,  à créer des personnalités adultes clivées, ignorantes de leurs émotions, privées de leur capacité à l’empathie, coupées de leurs corps.

Le comportement meurtrier est le fait de tels automates, fonctionnant avec une idée obsessionnelle, quelles que soient les couvertures et oripeaux dont ils habillent cette  idée. L’éducation reçue, allant à l’encontre des besoins fondamentaux, a créé un adulte privé de toute liberté de pensée et de réflexion.

Il est nécessaire de savoir que les besoins fondamentaux de l’enfant ne sont pas les mêmes que ceux de l’adulte. Modeler un enfant à son image n’est pas le respecter.

L’adulte ne peut apprendre à un enfant à être unifié, libre et responsable, face à lui-même et face aux autres, que s’il apprend lui-même à l’être.

Pour être un pédagogue ou un éducateur ou un parent, il faudrait pouvoir se relier à sa propre enfance, à ses ressentis, pour être en empathie maximale avec ceux de l’enfant. Et avoir fait le deuil des insatisfactions et frustrations de l’enfant qu’on a été, pour ne pas faire de l’enfant à éduquer cet objet destiné à satisfaire l’adulte : que ce soit satisfaire ses besoins de gratification, de revanche ou de domination sur un plus faible.

Quels sont les besoins que peut avoir l’adulte, qui agit pour lui-même et non pour l’intérêt de l’enfant, répertoriés par Alice Miller :

Le besoin de reporter sur un autre les humiliations qu’on a soi-même subies

Le besoin de trouver un exutoire aux affects refoulés

Le besoin de posséder un objet manipulable et disponible

Le besoin de préserver l’idéalisation de sa propre enfance et de ses parents

La peur de la liberté

La peur de la réémergence du refoulé, qu’on a réussi à combattre chez soi, et qu’il faut à nouveau combattre chez l’enfant.

La vengeance pour les souffrances endurées.

Ces besoins que l’enfant n’a pas à prendre en charge, se retrouvent à des degrés divers bien entendu. Il peut être nécessaire d’y réfléchir, même si l’on est sincère dans sa volonté de bien faire. Se cachent parfois des désirs plus refoulés, plus obscurs, plus inavouables.

La psychanalyse est là pour entendre ces pulsions difficiles à déceler par le conscient. La psychanalyse aide à dire ces pulsions, dans le cadre rassurant de la séance, et préserve ainsi du passage à l’acte. Le fait de se dire ainsi, place le sujet à distance de ses propres affects, et lui permet de les évacuer. Les besoins infantiles de revanche et de résolution des problèmes au travers de l’enfant perdent alors de leurs forces, d’eux-mêmes.

L’éducation peine à aider un enfant à accéder à sa liberté. Ce n’est d’ailleurs a priori même pas son but.

« Quand on éduque un enfant, on l’apprend à éduquer. Quand on fait la morale à un enfant, il apprend à faire la morale ; quand on le met en garde, il apprend à mettre en garde ; quand on le gronde, il apprend à gronder, quand on se moque de lui, il apprend à se moquer, quand on l’humilie, il apprend à humilier, quand on tue son intériorité, il apprend à tuer.

Il n’a alors plus qu’à choisir qui tuer : lui-même, les autres ou les deux. »

Alice Miller, C’est pour ton bien ; Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Aubier 1984.

 

L’écoute

L’analysant vient au cabinet de l’analyste pour y trouver une qualité d’écoute particulière.

L’écoute psychanalytique est le fruit d’une disponibilité, d’une attention, d’une présence à l’autre.

En tant que telle, cette écoute-là a un effet thérapeutique.

Elle accueille la parole de l’analysant dans ses dimensions de souffrance et de doute et aussi dans sa dimension de l’indicible, de l’impensé.

L’analysant énonce dans le cabinet de l’analyste, ce qui ne peut s’énoncer ailleurs.  Sa parole s’élève, grandissante, pour construire l’unicité de son histoire.

Il s’interroge sur la source de ses symptômes qui l’inhibent et dont il ne se défait pas. Il vient au travers de cette écoute chercher à résoudre cette énigme : Pourquoi souffrir tant? Comment souffrir moins ?

La dynamique de la relation analytique implique de se situer dans une profondeur, par-delà tout discours préfabriqué. L’analysant sent intuitivement qu’il peut être écouté au-delà de ce qu’il énonce. Il se pose en tant que sujet de son discours. Il peut laisser de côté le semblant, le faux, le paraître. Pour laisser son être s’exprimer, dans ce qu’il a de beau, et dans ce qu’il a de honteux, parfois.

La parole s’ouvre à une interprétation, une logique autre.

L’écoute dans l’espace de confiance avec l’analyste permet à l’analysant de se libérer des conditionnements de pensée pour laisser place à une autre vérité. Il accepte petit à petit de laisser venir ce qu’il avait occulté, mis dans l’ombre, ou carrément oublié.

Cette écoute-là suppose un entre-deux, une distance. Cette ferme et juste distance structure la parole de l’inconscient. Il peut se dire car il est protégé dans cette dimension analytique, faite de confiance et de réserve.

Le temps de l’écoute est un espace-temps, réservé à l’expression de ses vécus, où l’histoire personnelle du sujet se décline, se déploie. Dans l’espace mémoriel situé entre les deux, l’analysant et l’analyste, l’analysant vient dénouer, au fil des séances, les fortes identifications qui l’empêchent d’évoluer vers ce qu’il a envie d’être.

La parole et l’écoute arrivent en contrepoint des silences : silence des traumas, non-dits de l’enfance, secret de la souffrance. Briser le silence progressivement, comme un besoin d’exister autrement, de reprendre part à ce qu’on advient.

L’écoute est un art.

 

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