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L’estime de soi

On parle beaucoup de l’estime de soi, des ouvrages lui sont consacrés.
On en parle surtout pour dire qu’on en manque.
Sans doute parce que cette estime n’est pas facile à créer, à développer, et qu’elle est souvent malmenée, voire détériorée par la vie, l’éducation.
On en ressent le manque: mais comment définir, mesurer ce que serait le plein d’estime de soi ?

Avez-vous une bonne ou une mauvaise estime de vous ?

Essayons quelques questions :
• Etes vous affirmé dans votre vie, savez-vous dire non, vous opposer à quelqu’un ?
• Savez-vous aussi dire oui, avec détermination, pour vous lancer dans un projet, une nouvelle action, un nouveau partenariat ?
• Savez-vous déterminer, lister quelques-unes de vos qualités ?
• Avez-vous une confiance en vos compétences, une bonne opinion de vos talents, de votre physique, de votre intelligence ?
• Etes vous contents, lorsque vous avez agi, fait un travail, êtes vous satisfait de vous, de votre réalisation?
• Etes vous rassuré, quand vous vous préparez à une tâche, avec un enjeu ? savez vous mobiliser votre confiance en vos capacités à mener à bien le projet ?
• Vous acceptez-vous tel que vous êtes, sans jamais avoir envie de ressembler à une autre personne, admirée pour toutes ses qualités que vous estimeriez ne pas posséder vous-mêmes ?
• Vous connaissez vous bien, avez-vous fait un travail sur vous, êtes vous conscient de votre histoire, avec le sentiment d’un socle solide ?
• Avez-vous un sentiment de fierté vis-à-vis de vous-mêmes, ou de votre famille ?
• Acceptez vous vos défauts comme faisant partie de vous, sans honte, ni gêne, ni déni ? les reliez vous à vos qualités, en disant : ça forme un tout ?
• Vous sentez vous capables de vous améliorer dans ce que sont vos points faibles, et de développer vos qualités ?

Ces questions peuvent vous amener à estimer… votre estime de vous !
Si vous avez répondu oui à une majorité de questions : vous avez donc une bonne estime de vous-même.
Par contre, si vous répondez en majorité non aux questions ci-dessus : vous pouvez vous ranger parmi les personnes doutant d’elles-mêmes et à faible estime de soi.

Alors, quand disons nous : j’ai une bonne estime de moi ?

Qu’est ce que l’estime de soi ?

Disons pour commencer, qu’une bonne estime de soi est une question de mesure et d’équilibre.
S’estimer, c’est s’aimer suffisamment, lucidement, sans excès de narcissisme. C’est se sentir digne de respect, et se défendre contre le manque de respect lorsqu’on y est confronté.

Avoir une bonne estime de soi, c’est aussi se sentir bien avec soi, se considérer positivement, en ayant fait le tour de qui on est. Sans se raconter d’histoires, ni se croire au-dessus, ni se penser au-dessous.
C’est savoir mettre en valeur la personne que l’on est, sans se comparer à d’autres, sans dévaloriser ni écraser de mépris les congénères !

Et enfin, c’est aussi agir avec une confiance correcte en ses moyens d’actions, et ne pas craindre de transformer son potentiel en action.
C’est se projeter avec une bonne opinion des capacités que l’on souhaite mobiliser et confiance en elles.

Ainsi l’estime de soi permet d’agir. Ceux qui sont bloqués dans leur capacité d’action ont souvent une faible estime d’eux-mêmes.

A quoi mène une mauvaise estime de soi ?

Inhibition de l’action.
Dans l’action, le sujet à faible estime de soi se pose de nombreuses questions : vais-je réussir ?suis-je fait pour cela ? est-ce que quelqu’un d’autre ne serait pas meilleur à ma place ? dois-je commencer maintenant ou plus tard ? est-ce que j’y vais ou je me prépare encore un peu ?
L’action est souvent inhibée. Le doute envahit et bloque le mouvement.

Frustrations
Le sujet en mauvaise estime de lui se sent dévalorisé, incapable de changer, de donner un nouveau cours à sa vie. il est en permanence dans la frustration de ne pas vivre la vie qu’il voudrait.

Soumission
Plus insidieusement, la faible estime de soi peut entrainer l’acceptation d’une situation désastreuse. Subir une relation destructrice, parfois sans s’en rendre compte, rester dans un emploi médiocre. Cela peut aboutir à ne plus se donner  suffisamment de valeur pour songer à changer quoi que ce soit à sa vie, et conduit de fait à accepter l’inacceptable.

Pourquoi avoir une mauvaise estime de soi?

Les causes d’un manque d’estime de soi sont liées à l’éducation, au rôle de l’entourage, familial ou scolaire, parfois.
Si on remonte dans l’enfance :
Souvent, de mauvaises appréciations répétées, des brimades, des colères autour de l’enfant, qui se culpabilise et se rend responsable de ce qui ne va pas.
Mais aussi un manque de stimulation, une sorte d’indifférence de la part de l’entourage, le sentiment d’occuper une place un peu transparente.
Une culpabilité liée à une situation mal acceptée : parents en conflit, déséquilibre familial, secret, silences etc.
Un choc, un grand changement, une instabilité, un sentiment d’abandon agisssent aussi directement sur l’estime de soi.
Le manque d’autonomie accordée à l’enfant, la faible transmission des apprentissages, le frein mis à le laisser vivre des expériences.

L’effet négatif enfin de la grande admiration pour l’enfant, proférée de façon excessive et non réaliste, quand elle n’est pas fondée sur de réelles qualités mises en oeuvre et les efforts couronnés de succès.

 

Il y a aussi un aspect social au manque d’estime généralisé.
Nous baignons dans un ensemble de conditionnements et de lieux communs, qui ne facilitent pas la prise de conscience de sa valeur.
Par exemple, le terme échec, trop souvent attribué à toute action ne donnant pas un résultat tel qu’on l’imaginait.

Une dépréciation de soi et une mauvaise image résultent des difficultés, des ralentissements, des baisses de motivation, etc… que chacun, pourtant, traverse dans sa vie. Les phases de burn out,les besoins de faire une pause, les désirs de changement de vie, les choix personnels et non uniquement guidés par la raison sont  quasiment vécus dans la honte. Une société très individualiste telle que la nôtre s’enferme sur un grand nombre de diktats non-dits et arbitraires inhibant l’initiative individuelle.
Autre exemple : Par peur et repli général, rares sont les milieux professionnels acceptant de faire confiance, simplement, à quelqu’un. Chaque candidat à l’emploi doit montrer patte blanche, polir un CV impeccable, justifier le moindre changement, le plus petit flottement…

Comment augmenter son estime de soi ?

Certains psychologues, comme Alfred Adler, pensent que l’individu ressent naturellement un complexe d’infériorité, depuis la petite enfance, grâce auquel il cherche à grandir, évoluer, s’améliorer. En effet, poussé par ce sentiment d’être inférieur, chaque individu accomplit multiples apprentissages et efforts pour être à la hauteur de ses objectifs, pour agir, se mouvoir, s’élever.
Autrement dit, l’estime de soi n’est pas innée, elle est à conquérir.
Il est illusoire de penser qu’elle est acquise une fois pour toutes. Une tâche accomplie, on est content. Un nouveau travail, et on remet en question sa compétence, on rétrograde un peu, pour accomplir les efforts indispensables.
L’estime de soi est fluctuante : elle peut varier d’un moment à l’autre, d’un enjeu à l’autre. Elle est un travail permanent. Il faut l’alimenter, s’en occuper, sinon il sera difficile de la maintenir à un bon niveau.
Pour veiller à un maintien correct de l’estime de soi, il faudrait considérer les sentiments d’insuffisance, d’imperfection, non comme des faiblesses, mais au contraire comme des moteurs pour aller de l’avant, pour atteindre un objectif.
Veiller à ce que ces sentiments ne soient pas soumis aux assauts de la culpabilité par exemple ou de la frustration. Par exemple, ne pas se fixer sur une idée contraignante et illusoire d’un idéal très élevé et inatteignable, car non réaliste.

L’estime de soi est liée au sentiment d’amour que l’on reçoit. Bien sur, si on ne se sent pas aimé, on peut difficilement s’estimer.
L’estime de soi grandit dans l’éducation, destinée à rendre socialement aimable, compétent, adapté aux codes existants.

Ainsi on pourrait dire que pour augmenter son estime de soi, un travail est nécessaire sur plusieurs plans :

-le rapport à soi : apprendre à se connaître, se regarder, réfléchir aux qualités et atouts que l’on a, faire un point sur le parcours accompli.
Faire une liste de ses désirs, ceux qui permettraient d’améliorer sa vie, et, en face, une liste des peurs à accomplir ces désirs. Et aussi apprendre à reconnaitre ses besoins profonds, et ce que l’on apprécie en terme d’équilibre de vie. Se reconnaitre, comme individu parmi les autres, avec ses spécificités, ses particularités, avec sa propre histoire, son parcours différent.

-le rapport aux autres : soigner son relationnel, regarder les autres, apprendre aussi à mieux les écouter, les connaître, s’occuper du lien avec eux.

-le rapport à l’action : réfléchir aux blocages, aux immobilismes, aux freins. Se dégager des croyances inhibant l’action, s’il y en a : tu n’y arriveras pas, c’est difficile, la filière est bouchée, tu n’es pas assez bien, etc. Accepter les erreurs, les siennes, et celles des autres.

Le développement de sa personne est un travail, une lente appropriation d’équilibre et de sagesse.

Il peut être nécessaire de se faire aider pour cela.

Bibliographie :
Christophe André, François Lelord : L’Estime de soi
Alfred Adler : Le sens de la vie

Un témoignage: la psychanalyse comme parcours poétique

« La psychanalyse comme parcours poétique, une odyssée de soi » publié aux éditions l’Harmattan est le récit d’une psychanalyse.

Ce livre passionnant témoigne du parcours analytique de l’auteure, Gabriela Taranto-Tournon. Pour illustrer ce chemin si particulier, à nul autre pareil, qu’est une psychanalyse, Gabriela établit un parallèle avec le voyage initiatique de l’Odyssée d’Ulysse dans L’Iliade et l’Odyssée, épopée écrite par Homère, aux alentours de 1000 av JC.

L’auteure relie les itinéraires d’Ulysse et de son cheminement analytique, comme deux aventures de vie en correspondance. Etablissant un lien entre l’épopée antique relatée dans un texte mythique fondateur, et le parcours de vie intérieure issu de la découverte fondatrice contemporaine qu’est la psychanalyse.

Les étapes franchies par l’analysante au cours du vécu de son analyse s’accordent, vibrent en résonance avec les épreuves et combats émaillant le voyage d’Ulysse.

D’un côté un bateau et des instruments de navigation, pour naviguer sur la mer, de l’autre les mots et l’outil analytique pour remonter son histoire de cœur et d’esprit.

Comment se retrouver soi, pour vivre mieux, pour atteindre la liberté d’être. Comment voguer au milieu des souvenirs, des esquifs, des oublis, des hauts et des creux de vagues.

Un cheminement analytique est fait de tourmentes et de tempêtes, de matins calmes et de paix. Car il est le chemin de la vie même.

Le récit d’Ulysse est né de sa rencontre avec le roi Alkinoos. Ulysse est réfugié, en errance, naufragé, et souhaite retrouver son pays, son royaume. Mais il est perdu. Comme Alkinoos écoute Ulysse faire le récit du voyage qui l’a amené jusque là, pour l’aider à trouver son chemin vers sa maison (son moi) , le psychanalyste écoute le récit de vie de l’analysant, de façon à l’aider à trouver son propre chemin pour regagner sa vérité.

La quête de Gabriela exprimant sa demande lorsqu’elle démarre son travail : trouver ou retrouver sa place de femme. Son « royaume » ; là où elle peut être celle qu’elle est vraiment.

Le cyclope est le premier monstre auquel s’affronte Ulysse, au cours de son périple. Ce combat est aussi celui du début de la quête de soi: l’œil unique du cyclope, au milieu du front, est le troisième œil, celui de l’intuition et de la vision du monde intérieur.

L’analyse est la reconquête de sa vision personnelle. Ulysse (comme l’analysante) commence par se dépouiller de son ancienne identité (« mon nom est Personne ») pour renaitre à lui-même.

L’analyse est comme une symphonie en cinq mouvements : la rencontre, le récit répétitif, le récit viscéral, la séparation, la perlaboration.

« Il s’agit d’une transformation dynamique et double ; thérapeute et patient font advenir ensemble les transformations. »P.56

Le récit plonge au fur et à mesure dans les profondeurs de l’histoire, fait remonter à la surface émotions et souffrances de l’enfance. Le mouvement créée par cet échange entre conscient et inconscient, entre passé et présent, rend possible de nouvelles connexions, permet d’autres perspectives, fait surgir d’autres liens. L’espace psychique prend une dimension nouvelle.

De même Ulysse descend aux enfers pour y consulter l’âme de Tirésias à propos de sa destinée. Au fond du puits, la vérité. L’envie de savoir.

La vérité telle que la connaît l’inconscient va apparaître tout naturellement, petit à petit, au-delà des angoisses à vivre et à se souvenir.

Des épreuves sont à affronter au cours du chemin, chacun les siennes. Ulysse, après avoir échappé aux charmes des sirènes, ‘tombe de Charybde en Silla’, affronte tempêtes et naufrages, est finalement recueilli par Alcinoos et sa fille. L’analysante, elle, affronte des figures imposantes, des histoires parentales imbriquées de façon complexe, une place pas tout à fait juste ou claire, des fantasmes pour expliquer les silences, une structure familiale figée: tout est à décortiquer, à découvrir, à interroger, à remettre à sa place, pour trouver enfin paix et calme.

Et puis les résistances-freins, qui montrent qu’on est au cœur, au vital, qui donnent envie de prendre du repos, et qui, une fois dépassées, aident à avancer à grands pas.

La relation à la psychanalyste est le support de cette quête de soi au fil des séances. L’analysante apprend sur elle-même, guidée par l’analyste, pour pouvoir ensuite  naviguer seule.

« La relation qui s’établit entre thérapeute-patient a comme but sa propre fin. C’est-à-dire l’indépendance du patient. »P.80.

Ce n’est pas de guérison dont il s’agit, mais de mouvement, de marche reprise (la névrose est fixité, rigidité), d’évolution redevenue possible.

« La psychanalyse est une pensée active, une pensée en action. Elle est un revisiter pour revivre. » P.19

Ulysse à la fin de son odyssée arrive à Ithaca, et reprend place en son royaume. Il reprend sa vie, avec toute l’énergie nouvelle et les connaissances acquises au cours du périple. Il doit chasser ceux qui ont profité de son absence pour prendre ou convoiter sa place.

De même, après l’analyse, l’élan de vie est retrouvé, avec un psychisme enrichi, fort de ses abréactions, de ses prises de conscience, de ses compréhensions, de sa fluidité. Les futurs combats sont menés avec des forces renouvelées, pour se réapproprier sa vie, parfois faire des choix différents.

L’auteure-analysante insère des citations d’un ouvrage de sa psychanalyste, rappelant sa parole, en dialogue avec elle.

L’Odyssée de soi est en effet, également, un hommage plein d’émotions à la mémoire de la psychanalyste, décédée depuis.

Ce récit est l’histoire d’une thérapie psychanalytique, transposée dans un cadre poétique, au plus près du vécu et avec une grande justesse de ton.

La psychanalyse comme parcours poétique Une odyssée de soi, par Gabriela Taranto-Tournon  Editions L’Harmattan 2013

 

Revivre

Qu’est ce que revivre ?

C’est:

Répéter, reproduire le passé, comme si on y était. Ce revivre peut être un ressassement, prenant une allure d’obsession, engendrant souffrance, mélancolie, dû à un deuil qui ne finit pas, à un attachement qui ne veut pas lâcher, à une compulsion de répétition.

C’est aussi :

Renaître,  se renouveler, reparaitre, reprendre un cours de la vie, après une disparition, une dépression, une maladie, un retrait ou un isolement. C’est vivre A NOUVEAU. Se sentir neuf, retrouver son énergie, renouer avec soi. Reprendre la route, repartir.

Le premier revivre possède  une vertu thérapeutique au cours d’un travail psychothérapeutique ou analytique.

Il est alors un revivre permettant de re trouver toutes ces  émotions enfouies, ces souffrances exilées, cet abime en soi que l’on sent mais ne veut pas voir.

Ce revivre se traduit par la réminiscence d’une partie de mémoire inconsciente, des points de vue sur son histoire qu’on avait occultés, des pulsions refoulées.

Revivre un évènement traumatique ou des épisodes de vie difficiles, mettre sa mémoire  en mots pour la partager, et ainsi associer, comprendre, intégrer, comparer, élargir son champ de vision. C’est le travail psychique d’auto-guérison.  La force destructrice de l’émotion traumatisante diminue, laissant place petit à petit à une réparation  et un renouveau. Un réveil !

Ainsi revivre c’est :

Trouver dans le passé les ressorts qui poussent vers l’action de nouveau. Faire revenir le passé pour reprendre l’agir.

C’est cela l’enjeu du revivre.

Entre les deux,

D’une part retrouver le passé, comme si on y était, en ressentant à nouveau les émotions des situations revécues, en s’y plongeant

Et d’autre part, revivre à nouveau, se renouveler, renaître, par exemple après une maladie, ou un choc émotionnel, ou une dépression : je repars, je revis.

On peut avoir l’illusion dans ce cas que l’on ferait comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la vie redevenait comme avant.

Mais guérir n’est pas revenir comme avant. C’est au contraire une renonciation à un état antérieur, un passage à un état différent. La conscience lucide que guérir n’est pas revenir est une avancée vers la guérison, car c’est un pas vers cette renonciation.

La santé après la maladie n’est pas la santé antérieure. Le fait d’être guéri signifie ne plus avoir besoin du médicament, ou de la thérapie.

« Il n’y a pas de guérison sans un travail, sans une élaboration, sans un récit, une fiction précisément dans laquelle la personne est impliquée parce qu’il y a un JE » 1

Les deux sens du revivre sont deux axes de notre vie : entre les deux se situe une tension, qui fait que la vie prend un sens ou un autre, entre ces deux polarités, ces deux extrêmes qui se repoussent et s’attirent en même temps.

La thérapie favorise le lien entre ces ceux pôles, pour que la vie ne se cristallise par sur un passé perdu, ou une fuite en avant sans mémoire.

« Alors un revivre survient, qui délivre d’un autre, de celui qui obsédait, qui bloquait tout, sans qu’on le sache. » 2

Inspiration et citations

1  Alain EHRENBERG. La fatigue d’être soi. Dépression et société. Odile Jacob 2000

2  Frédéric WORMS : Revivre , Eprouver nos blessures et nos ressources. Flammarion 2012.

L’Inconscient

Comment parvenir à la connaissance de l’Inconscient?

Nous n’y avons accès que par le Conscient, après qu’il ait transformé, traduit l’Inconscient. Ceci se travaille en analyse, mais, pour l’analysant, non sans avoir surmonté des résistances, autrement dit les forces poussant à garder refoulées les motions inconscientes pour les empêcher d’accéder au Conscient. La partie inconsciente du psychisme se décrit selon trois points de vue :

– le point de vue dynamique : le psychisme comprend tout ce qui a été formé par l’ Inconscient, dans le but de construire un compromis avec la réalité. Les vécus mémorisés et les pulsions du ça, forment un ensemble synthétisé, que l’on appelle « les formations de l’Inconscient », qui s’expriment à l’extérieur sous forme de symptômes, oublis et autres actes manqués, ainsi que toutes les pensées, associations, affects, dont l’élaboration échappe au conscient, se reflétant dans les comportements, habitudes, émotions, pensées.

– le point de vue topique : Il s’agit de systèmes de fonctionnement dont les forces opposées créent une tension permanente. Equilibre et déséquilibre se succèdent. Le refoulement est une sorte de censure qui sépare l’Inconscient du Conscient. De nombreuses représentations de l’enfance ont ainsi été refoulées, en raison des multiples contraintes imposées par le Moi et le Surmoi.

Cependant, les affects liés aux représentations inconscientes, quant à eux, cherchent à se libérer du joug du refoulement. « Le refoulement agit par le retrait d’investissement des représentations tandis que l’affect libéré se transforme en angoisse ». Le “retour du refoulé” prend différentes formes, par exemple substitutives, comme la phobie.

La cure par la parole, en psychanalyse, permet d’amener au conscient ces motions refoulées, sous forme de traces mnésiques, pour les intégrer aux autres contenus, ce qui revient à désactiver ainsi leurs charges négatives et les prive de leurs propensions à s’amalgamer coûte que coûte à des représentations actuelles. Tant que ces contenus inconscients investissent pulsionnellement les contenus actuels, il n’y a pas de possibilité de faire varier durablement et profondément les choses. Il existe plusieurs mémoires, et la psychanalyse œuvre à la mise au jour de ces traces mnésiques infantiles oubliées, déchargeant ainsi les pulsions fixées, et permettant la transformation des registres d’investissement du réel. Les mots ont une charge symbolique très forte, en rapport avec les nœuds inconscients, d’où l’efficacité des cures par la parole.

– le point de vue économique : « Il rend compte des investissements, des rapports de force et du travail de transformation. Le refoulement des représentations inconscientes est maintenu par les contre-investissements. Selon l’avantage pris par le pulsionnel ou par les défenses, on distingue les formations substitutives (la phobie), les formations de compromis (la conversion hystérique), et les formations réactionnelles dont, par exemple, les traits de caractère. »

Dans le noyau de l’inconscient, les “motions pulsionnelles » sont coordonnées les unes aux autres, existent sans être influencées les unes à côté des autres, ne se contredisent pas entre elles.

Les rêves

De quoi parlent nos rêves ?

Le rêve est considéré comme un messager de l’inconscient. Grace au souvenir que nous en avons au réveil, des contenus psychiques refoulés arrivent dans le conscient. Le rêve ne triche pas : il vient directement de notre refoulé, sans apprêt, sans souci de réalisme ni de morale.

Ces productions une fois rendues conscientes, seront alors utilisables. Si le rêveur le souhaite, il étudiera, explorera, associera à partir de ces précieux matériaux psychiques issus de son inconscient.

Le rêve est selon Freud, « la via regia qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique. »

Le rêve nous parle de nos tensions psychiques, de nos peurs et de nos désirs, de nos espoirs et de nos déceptions, de tout ce qui constitue notre intériorité, largement inconnue de nous-mêmes.

« Nous rêvons de nos interrogations, de nos difficultés. » dit C.G.Jung.

Nos rêves et notre réalité sont fortement imbriqués : Pendant le rêve, nous pouvons nous croire réellement en train de vivre un événement : « je me sens fort, invincible. » et nous réveiller déçu au fur et à mesure que le conscient reprend sa place. La reprise du contrôle du conscient peut s’avérer longue de quelques minutes, pendant lesquelles le monde onirique et la réalité s’entrecroisent, et n’offrent pas de frontière précise. Ce moment est très riche en sensations et en imagination. Un évènement malheureux peut avoir été nié pendant le rêve : vous rêvez que vous réussissez votre permis de conduire, et pendant la phase de réveil vous revient petit à petit le souvenir de votre échec à cette épreuve passée la veille !

A contrario, vous rêvez d’une catastrophe ou d’une situation particulièrement désagréable, et votre soulagement est grand de voir revenir à vous les éléments de votre vie : « Ouf ! ce n’était qu’un rêve ! » que vous aimeriez bien oublier aussitôt ! Mais ce n’est pas si simple : On peut avoir envie de rester dans un rêve agréable, de même un rêve peut nous hanter longtemps, et nous tourmenter jusqu’à ce que des éléments de compréhension nous permettent une mise à distance.

Ainsi un contenu onirique ne reste pas cloisonné, il fait bel et bien partie de notre vie. Il laisse des traces en nous, et son souvenir peut être réparateur ou représenter une alerte, en tous les cas, il est plein d’enseignements.

Comment parlent nos rêves ?

– le rêve utilise un langage symbolique.

Un symbole est un condensé de signifiants renvoyant à un signifié.

‘A longueur de jour et de nuit, dans son langage, ses gestes ou ses rêves, qu’il s’en aperçoive ou non, chacun de nous utilise des symboles.’

‘Nous vivons dans un monde de symboles, et un monde de symboles vit en nous.’

Les symboles sont plus ou moins proches de nos préoccupations ou de notre contexte de vie, ils en sont aussi parfois très éloignés. Un rêveur ne prenant jamais le bateau peut très bien se retrouver en rêve, traversant la mer en paquebot ou en radeau ! La situation rêvée prend alors une dimension purement symbolique. Ce n’est pas le cas si le rêveur est un passionné de voile, pour qui ce rêve pourra avoir une autre signification, liée peut-être à des tensions au sujet de son prochain départ en mer.

Un symbole possède à la fois une signification personnelle, en fonction de son vécu, ou une signification universelle, commune à toutes les cultures.

Ex pour le bateau dont la signification symbolique est : la traversée, la nouvelle vie, l’évasion, les grands espaces, voire le long murissement ?

Le rêve est un condensé de souvenirs et émotions d’enfance, de résidus diurnes constitués des souvenirs très récents, parfois anodins en apparence, (une phrase d’une conversation, une scène d’un film vu à la télévision, une émotion ressentie, une personne rencontrée) de personnages issus du passé se retrouvant avec des personnes de l’entourage présent, d’évènements collectifs, de traumatismes anciens. Les matériaux utilisés, divers et multiples, sont en résonance avec les souvenirs de la vie présente et passée, personnelle et collective, et même trans générationnelle.

Que disent nos rêves ?

Chaque situation imaginée dans le rêve renvoie toujours au rêveur lui-même, quelle que soit la situation.

Le rêve n’implique que celui qui rêve.

– Les conflits, extérieurs ou internes, sont la grande source des rêves. En effet, un rêve exprime un état de tensions entre des forces opposées, et le souvenir d’un rêve apparaîtra dans la mesure où cet état de tension, renforcé par la production onirique est suffisamment important pour dépasser le seuil de conscience. Une scène vécue à l’origine d’un conflit apparaît généralement de façon déformée.

– Des personnages issus du passé apparaissent soudain, alors qu’ils n’ont pas de présence particulière dans vos pensées du moment. Votre inconscient s’est enrichi des souvenirs de votre vie liés à ces personnes, même si cette évocation semble éloignée de vos préoccupations actuelles. Il convient de noter à ce sujet que tous les souvenirs vécus sont enregistrés, mémorisés une fois pour toute, constituant un terreau de souvenirs dans lequel l’inconscient puise à sa guise. Nous sommes parfois très étonnés de ces apparitions, nous demandant ce que vient faire dans un rêve tel personnage dont le souvenir était en apparence tombé dans l’oubli et ne vous était pas venu au conscient depuis très longtemps !

– Des évènements collectifs ayant eu un fort impact émotionnel vont se retrouver dans les rêves assez rapidement. Les raisons sont de deux ordres : d’une part, les catastrophes humaines entrent en résonance avec des peurs inhérentes à la condition humaine (peur de l’engloutissement, de l’anéantissement, de l’effondrement), et avec sa fragilité. D’autre part, la propagation de la nouvelle au niveau mondial entraine une amplification, qui permet une rapide appropriation par l’inconscient collectif.

– Une expérience traumatisante peut bien sûr apparaître en rêve, de façon répétitive, et sous toutes ses formes : parfois non déformée, on revoit la scène se dérouler, dans tous les détails, parfois sous d’autres points de vue, ou avec des images différentes. Le psychisme travaille à assimiler l’évènement, à l’incorporer.

Et bien sûr, tous les ‘résidus diurnes’ évoqués plus haut.

L’étrangeté du rêve

Des scènes étranges ou impossibles et des scènes familières coexistent, le mécanisme onirique n’ayant nullement peur de l’incongruïté, ni du surnaturel. Des déformations, des transformations ont lieu, dont le rêveur ne s’offusque pas du tout ! Toutes sortes d’anachronismes sont mis en scène, sans aucune limite. Il n’est pas rare de se voir en rêve à un âge différent du sien : ainsi, un rêveur peut avoir dans un rêve l’âge de son propre enfant ! Le rêve peut mettre en scène les parents du rêveur à un âge où il ne les a pas connus. Il arrive qu’un animal se transforme en un autre, ou prenne une autre apparence. On se trouve dans une maison qui est un « chez moi » mais qui ne ressemble pas du tout à l’appartement réel. Il est pourtant familier, c’est bien « chez moi » mais je ne reconnais aucun détail de la réalité !

Ce sont ces déformations, ces étrangetés qui nous rendent nos rêves si attachants : ils n’appartiennent qu’à nous, sont le fruit de notre seule imagination (bien qu’échappant totalement à notre volonté), sont le reflet de quelque chose qui nous semble puissant, fortement chargé en énergie, ayant un impact émotionnel fort.

Comment s’interprète un rêve en analyse ?

Un rêve ne s’interprète pas de l’extérieur, par le maniement savant de symboles universels.

C’est par l’interaction entre le rêveur rapportant son rêve et l’analyste à l’écoute que se dessinent petit à petit des pistes. Ne sont validées que celles qui font écho chez le rêveur, qui provoquent son émotion, son assentiment par le ressenti.

Chaque élément du rêve appartient à l’univers psychique du rêveur.

Ce sont des associations d’idées, de souvenirs, d’évènements, stimulés par les questions de l’analyste, qui donnent une lecture du rêve. L’amplification des ces éléments permet d’activer, d’amener au conscient d’autres productions psychiques associées.

Ouvrages :

S.Freud :L’interprétation des rêves, Freud, 1900

Jung : L’analyse des rêves, notes de séminaires, Albin Michel

Pour travailler sur vos rêves : le dictionnaire des symboles sous la direction de J.Chevalier et A.Gheerbrant Collections bouquins PUF.

L’écoute

L’analysant vient au cabinet de l’analyste pour y trouver une qualité d’écoute particulière.

L’écoute psychanalytique est le fruit d’une disponibilité, d’une attention, d’une présence à l’autre.

En tant que telle, cette écoute-là a un effet thérapeutique.

Elle accueille la parole de l’analysant dans ses dimensions de souffrance et de doute et aussi dans sa dimension de l’indicible, de l’impensé.

L’analysant énonce dans le cabinet de l’analyste, ce qui ne peut s’énoncer ailleurs.  Sa parole s’élève, grandissante, pour construire l’unicité de son histoire.

Il s’interroge sur la source de ses symptômes qui l’inhibent et dont il ne se défait pas. Il vient au travers de cette écoute chercher à résoudre cette énigme : Pourquoi souffrir tant? Comment souffrir moins ?

La dynamique de la relation analytique implique de se situer dans une profondeur, par-delà tout discours préfabriqué. L’analysant sent intuitivement qu’il peut être écouté au-delà de ce qu’il énonce. Il se pose en tant que sujet de son discours. Il peut laisser de côté le semblant, le faux, le paraître. Pour laisser son être s’exprimer, dans ce qu’il a de beau, et dans ce qu’il a de honteux, parfois.

La parole s’ouvre à une interprétation, une logique autre.

L’écoute dans l’espace de confiance avec l’analyste permet à l’analysant de se libérer des conditionnements de pensée pour laisser place à une autre vérité. Il accepte petit à petit de laisser venir ce qu’il avait occulté, mis dans l’ombre, ou carrément oublié.

Cette écoute-là suppose un entre-deux, une distance. Cette ferme et juste distance structure la parole de l’inconscient. Il peut se dire car il est protégé dans cette dimension analytique, faite de confiance et de réserve.

Le temps de l’écoute est un espace-temps, réservé à l’expression de ses vécus, où l’histoire personnelle du sujet se décline, se déploie. Dans l’espace mémoriel situé entre les deux, l’analysant et l’analyste, l’analysant vient dénouer, au fil des séances, les fortes identifications qui l’empêchent d’évoluer vers ce qu’il a envie d’être.

La parole et l’écoute arrivent en contrepoint des silences : silence des traumas, non-dits de l’enfance, secret de la souffrance. Briser le silence progressivement, comme un besoin d’exister autrement, de reprendre part à ce qu’on advient.

L’écoute est un art.

 

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La psychanalyse selon Freud

 Le but de la psychanalyse 

« Son seul but et sa seule contribution consistent à découvrir l’inconscient dans la vie psychique. »

La psychanalyse est un procédé à visée thérapeutique

«  Une psychanalyse n’est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas par essence à prouver, mais à modifier quelque chose. »

La psychanalyse consiste en  un réapprentissage  par le souvenir

  » Il nous faut rechercher les refoulements anciens, incitant le  moi à les corriger, et à résoudre les conflits autrement et mieux qu’en tentant de prendre devant eux la fuite. Comme ces refoulements ont lieu de très bonne heure dans l’enfance, le travail analytique nous ramène à ce temps, les situations ayant amené ces très anciens conflits sont le plus souvent oubliées, le chemin nous y ramenant nous est montré par les symptômes, rêves et associations libres du patient, que nous devons d’ailleurs d’abord interpréter, traduire, ceci parce que sous l’empire de la psychologie du « ça », elles ont revêtu des formes insolites heurtant notre raison. »

La psychanalyse comporte une explication dynamique du psychisme.

« Nous ne voulons pas seulement décrire et classer les phénomènes. Nous voulons aussi les concevoir comme étant des indices d’un jeu de forces s’accomplissant dans l’âme, comme la manifestation de tendances ayant un but défini et travaillant soit dans la même direction, soit dans des directions opposées. »

La psychanalyse est une méthode scientifique d’application générale

« Ce qui caractérise la psychanalyse, en tant que science, c’est moins la matière sur laquelle elle travaille que la technique dont elle se sert .  On peut, sans faire violence à sa nature l’appliquer aussi bien à l’histoire de la civilisation, à la science des religions et à la mythologie qu’à la théorie des névroses. »

d’après « Freud psychanalyse textes choisis » PUF, 1985

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